La décision du Secrétaire fédéral de la FGTB, Marc Goblet, d’engager son organisation dans la campagne que l’Action Commune Socialiste mènera en faveur de la « Protection sociale pour tous » est imbuvable et inacceptable.
Imbuvable et inacceptable
Elle est imbuvable et inacceptable parce qu’au moment où cette annonce est faite, des dizaines de milliers de chômeurs, et surtout de chômeuses, sont en train de perdre leur droit aux allocations d’insertion, qu’il n’y a donc plus aujourd’hui de « protection pour tous », et que le gouvernement dirigé par Di Rupo est responsable de ce massacre.
Elle est imbuvable et inacceptable parce que le PS au gouvernement nous a fait encaisser, entre autres : la discrimination entre « isolé-e-s », « cohabitant-e-s » et « cohabitant-e-s avec charge de famille », le Pacte des générations, le droit à l’intégration sociale, le contrôle sur les recherches emploi, l’activation des prépensions, la transformation des allocations d’attente en allocations d’insertion limitées dans le temps, la dégressivité accrue des allocations de chômage, la diminution du budget des allocations au bien être, une réforme de l’Etat avec un début de scission de la sécurité sociale (allocations familiales régionalisées)…
Elle est imbuvable et inacceptable parce que, après toutes ces trahisons et beaucoup d’autres, l’intérêt des affilié-e-s n’est pas que la FGTB aide le PS à se refaire une virginité pour retourner au gouvernement après les élections de 2019 : l’intérêt des affilié-e-s est au contraire que le syndicat organise la lutte pour une alternative à la politique d’austérité et mette le PS au pied du mur : soit il soutient cette alternative, soit il n’est plus un partenaire du syndicat.
Elle est imbuvable et inacceptable, parce que « Protection sociale pour tous » n’est pas une campagne exclusive de l’Action commune mais bien une campagne menée par le CNCD-11.11.11, les ONG, les syndicats et les mutualités. Les sparadraps arborés par Labille, Di Rupo et Goblet lors de la conférence de presse font partie du matériel édité par le CNCD et ses membres. Il y a donc récupération politicienne et fraude de la part du PS qui est loin d’appliquer lui-même la revendication numéro 4 de la campagne : « Les décideurs politiques belges doivent s’assurer que les politiques qu’ils mènent renforcent la protection sociale »…
Elle est imbuvable et inacceptable parce que, sous prétexte de « rassembler les progressistes », la campagne de l’Action Commune Socialiste fait exactement le contraire : elle torpille l’unité d’action la plus large entre les travailleur-euse-s wallons, flamands et bruxellois, de la FGTB et de la CSC. Elle la torpille au profit d’un repli francophone sur les appareils d’une soi-disant «famille » qui n’a de « socialiste » que le nom.
Elle est imbuvable et inacceptable parce que cette campagne enterre ce qui reste du « plan d’action » de l’automne 2014, escamote du même coup la plateforme du front commun – les quatre « balises » pour lesquelles les affilié-e-s se sont mobilisé-e-s en masse – et s’en remet au PS pour la suite.
Cette décision est imbuvable et inacceptable, en bref, parce qu’elle signifie rien moins que la volonté du sommet de la FGTB d’abandonner toute lutte décidée contre les mesures du gouvernement des patrons, pour miser sur les élections de 2019. En espérant que le retour du PS au gouvernement permettra de reprendre la politique du moindre mal… qui a pavé le chemin pour le gouvernement des patrons.
Impasse d’une stratégie, stratégie de l’impasse
Le 7 mars dernier, après avoir retracé les six épisodes du feuilleton au cours duquel les sommets de la FGTB et de la CSC ont désamorcé la résistance sociale de l’automne 2014, nous écrivions ceci :
« L’enchaînement des épisodes depuis la grève nationale de 24 heures du 15 décembre ne laisse aucun doute : en optant pour la concertation et en acceptant le saucissonnage des revendications, les directions syndicales (…) ont gaspillé le rapport de forces construit à travers le plan d’action et permis à l’adversaire de reprendre la main. Cette stratégie a engagé le monde du travail dans une impasse dangereuse. Il faut en sortir de toute urgence ».
L’impasse est là, sous nos yeux. Le saut d’index est voté. Le formidable mouvement de l’automne n’a rapporté que quelques misérables cacahuètes aux travailleur-euse-s du privé. Ceux et celles du secteur public n’ont rien gagné du tout et sont contraints de continuer la lutte tout seuls – pour la sauvegarde de leur système de pension, notamment. Sur le dossier des prépensions – qui s’en étonnera ?- la tentative de contrer les plans du gouvernement par un accord au groupe des 10 a échoué… Tout le reste est à l’avenant. Et ce n’est pas fini : on s’en apercevra quand le gouvernement sortira sa proposition de « tax shift »…
Cependant, au lieu de sortir de l’impasse, Goblet s’y enfonce et y enfonce les travailleur-euses ! Alors que les attaques de la droite se multiplient, son ralliement à la campagne de l’Action Commune Socialiste divise la résistance sociale, discrédite l’action syndicale auprès de la masse et offre un cadeau en or à la propagande libérale (pour ne pas parler de l’extrême-droite).
Qu’on ne vienne pas nous dire « C’est la faute de la CSC » : par ce septième épisode du feuilleton, où il se jette dans les bras du PS, le secrétaire fédéral de la FGTB aide au contraire les secteurs droitiers de la CSC à défendre leur bilan face à leur propre aile gauche.
Il s’agit d’ouvrir les yeux : le cours suivi depuis décembre fait le jeu du patronat qui veut affaiblir les syndicats et vider le droit de grève de son contenu. C’est le résultat inévitable de la stratégie suivie par les appareils syndicaux.
Ne pas confondre : « indépendance syndicale» et « apolitisme »
Pas question de faire tomber un gouvernement par l’action directe ; pas question d’imposer le programme syndical aux « amis politiques » ; pas question que la mobilisation des affilié-e-s serve à autre chose qu’à exercer sur commande une pression -mesurée et contrôlée- sur la concertation, dans l’espoir que celle-ci débouche sur des compromis, et que le gouvernement en tienne compte. Basées sur une grave confusion entre l’indépendance syndicale vis-à-vis des partis et l’apolitisme, ces conceptions erronées se paient cash aujourd’hui.
Chaque jour le gouvernement amène son nouveau lot d’attaques et de provocations : avant-hier, Bart De Wever et sa sortie raciste contre les « berbères » ; hier, Daniel Bacquelaine et Jacqueline Galant sur la fin de la prise en compte des années d’études pour la pension des fonctionnaires et une hausse des tarifs SNCB aux heures de pointe ; aujourd’hui, Maggie De Block et son projet de réduire le financement du monitoring des bébés pour éviter le syndrome de la « mort subite »…
Comment imaginer une seule seconde que ce train infernal de mesures destructrices, injustes et mortifères pourra être arrêté par la concertation ? N’est-il pas évident que chasser ce gouvernement de malheur est une nécessité vitale? N’est-il pas évident que le syndicalisme doit abandonner les conceptions erronées qui l’empêchent de tirer cette conclusion évidente ?
Attention, le danger grandit
Nous avions tiré la sonnette d’alarme dès janvier 2012, quand le gouvernement Di Rupo, sans consulter les syndicats, avait fait voter à la hussarde au parlement une nouvelle réforme des prépensions, la dégressivité accrue des allocations de chômage et le concept d’allocations d’insertion limitées dans le temps.
A l’époque, à travers une « Lettre ouverte aux syndicalistes », nous avions dit en substance ceci : face à un ennemi de classe qui change les règles du jeu pour pousser les syndicats dans le coin, face à un PS qui collabore activement à cette offensive, c’est peu dire que la stratégie basée sur la concertation avec les patrons et sur la pression/aiguillon sur les « amis politiques » ne fonctionne plus : elle fonctionne à l’envers, enferme les syndicats dans un rôle d’accompagnateurs de l’austérité capitaliste, et les menace donc dans leur existence même.
Avec le gouvernement MR-NVA, le rythme de ce « fonctionnement à l’envers » s’accélère. Attention, le danger grandit. Une fois de plus, nous tirons donc la sonnette d’alarme : chaque jour qui passe nous rapproche du moment où les rapports de forces sociaux risquent de basculer dans ce pays.
Les deux jambes de l’alternative
Pour l’éviter, le mouvement syndical tout entier – pas seulement la FGTB- a besoin d’une stratégie alternative. Une stratégie qui marche sur deux jambes : au lieu de la concertation au chevet de « notre économie », un programme anticapitaliste d’urgence pour casser la crise ; au lieu d’une fausse indépendance syndicale, une lutte ouverte sur le terrain politique pour que le monde du travail dispose d’un prolongement politique digne de ce nom, à gauche du PS et d’Ecolo.
Car il y a malgré tout quelque chose de juste dans la démarche de Marc Goblet : le mouvement syndical a effectivement besoin d’un prolongement politique, ne fût-ce que pour briser toute une série de verrous (notamment celui de l’Union Européenne, cette machine de guerre despotique au service des patrons). Mais il ne faut pas confondre relais politique des luttes syndicales contre l’austérité et relais du social-libéralisme par la structure syndicale qui a mené les luttes dans l’impasse…
Prétendre que le PS pourrait être un relais de la « protection sociale pour tous », c’est faire passer des vessies pour des lanternes. « Le but (n’est pas) de rédiger un programme électoral, limité à une législature : notre horizon est plus lointain », a dit Di Rupo (Le Soir, 24/3/15). Tellement lointain que personne ne le verra jamais. En clair : pour retourner au pouvoir, le PS promettra un « retour du cœur » ou n’importe quel autre miroir aux alouettes… mais il ne se laissera lier les mains par aucune revendication.
Pour la gauche syndicale, un relais politique digne de ce nom ne peut venir que de l’émergence d’une nouvelle force politique, anticapitaliste, à gauche du PS et d’Ecolo. C’était le sens de l’appel lancé le premier 2012 par la FGTB de Charleroi Sud Hainaut, et c’est le sens des brochures « 8 questions » et « 10 objectifs » qui ont été adoptées ensuite par cette régionale syndicale.
Tout-e syndicaliste de gauche, quelle que soit son organisation, devrait se procurer ces documents et les diffuser autour de lui. Ce n’est pas la Bible, mais ils constituent, selon nous, l’expression la plus claire et la plus cohérente de la stratégie alternative dont le monde du travail a besoin aujourd’hui.
Pour mettre cette stratégie alternative en œuvre, il faut évidemment tenir compte du contexte. A la fois sur le plan politique et sur le plan des luttes.
Gare au « rassemblement des progressistes » avec le PS !
Sur le plan politique, on se souvient que l’appel de la FGTB de Charleroi a reçu un premier début de réponse avec la formation des listes PTB-Gauche d’Ouverture, associant la LCR et le PC autour du PTB.
Ce fut une bonne campagne, couronnée de succès, mais, après les élections, le PTB a choisi de ne pas y donner suite. Selon lui, la formation du gouvernement de droite a ouvert une « nouvelle séquence », il est donc vital de d’œuvrer à un « rassemblement beaucoup plus large » de « toute la gauche« , d’éviter tout « « », toute « « »… et donc aussi toute critique de la politique des appareils syndicaux.
Depuis lors, hélas, les parlementaires du PTB se comportent comme les porte-parole des directions syndicales… même quand ces directions passent avec les patrons un mauvais compromis, qui s’inscrit dans le cadre du programme gouvernemental (comme sur la disponibilité des prépensionnés).
Que le PTB accentue sa percée en chassant ainsi sur les terres du PS, c’est une évidence. Mais le ralliement de Goblet à l’Action commune montre, selon nous, les limites et les dangers de cette stratégie. Car la question se pose : dès lors que le Secrétaire fédéral de la FGTB se range derrière le PS, que fera le PTB ? Alignera-t-il ses critiques du PS sur celles qui sont acceptables par la direction de la FGTB ? Dans ce cas, n’y a-t-il pas un risque de le voir glisser vers un « rassemblement des progressistes » avec le PS… c’est-à-dire vers une politique sociale-démocrate du « moindre mal » (comme Ecolo l’a fait il y a vingt ans)?
Coordonner la gauche syndicale
Sur le plan des luttes, il ne faut pas se payer de mots à propos du « deuxième plan d’action », de « la résistance sociale » et de la « lutte qui continue » : la trêve de fin d’année, son prolongement et les fruits amers de la concertation ont cassé la dynamique d’unité et de mobilisation qui allait crescendo. Depuis lors, le mouvement est dans une phase d’atterrissage chaotique, avec une tendance à l’éclatement des résistances. Voilà la vérité.
Chez les militant-e-s, le mécontentement le dispute au désarroi. Se démobiliser serait la pire des choses à faire, il faut participer activement à toute manifestation. Mais l’initiative de Goblet le prouve : regagner le terrain perdu depuis le 15 décembre ne se fera pas comme par enchantement, sans douleur, et à l’initiative du sommet syndical.
Cela ne se fera pas non plus en prenant des initiatives parallèles : la grande parade de « Tout autre chose » est une riche idée, mais le blocage est au sein des syndicats, pas en-dehors. Retrouver la dynamique de l’automne n’est possible que si un courant syndical de gauche coordonne son action et secoue les appareils, à tous les niveaux des organisations, en passant au-dessus des barrières entre régions, syndicats et centrales, et en nouant des liens avec les autres mouvements sociaux. L’histoire sociale de notre pays ne manque pas d’exemples. Il est temps de s’en inspirer.
Oui à la gauche syndicale
Oui au front commun syndical de combat
Oui à une alternative politique anticapitaliste, non à l’Action commune (des appareils) socialiste(s) !
La FGTB de Charleroi dit « Non » à Goblet
La FGTB de Charleroi refuse le virage impulsé par Marc Goblet. Forte du vote intervenu lors de son congrès d’octobre dernier, elle demande à tous les partis qui se réclament de la gauche de se prononcer sur son plan anticapitaliste d’urgence en « 10 objectifs » et rappelle qu’elle ne considèrera comme partenaires que les organisations qui soutiendront ce programme. En parallèle, elle organise le 1er avril, avec la CSC, une manifestation de masse couverte par un préavis de grève, en faveur d’une version renforcée des « quatre balises », intégrant explicitement le refus e la pension à 67 ans et de la disponibilité des prépensionnés (sous toutes ses formes : « active », « passive » ou « adaptée »). Nous reproduisons ci-dessous son communiqué :
« Lors de son congrès du 18 octobre 2014, la FGTB Charleroi/Sud-Hainaut a décidé que c’est sur base de son programme anticapitaliste qu’elle définit ses rapports avec tousles partis démocratiques de gauche. Et ceci en toute indépendance !!!!
Faute d’engagements concrets sur notre programme anticapitaliste d’urgence décliné en 10 objectifs, nous n’hésiterons pas à reconsidérer nos relais politiques.
Bref , la FGTB Charleroi/Sud-Hainaut est clairement pour une action commune PLURIELLE.
Nous lançons donc à un appel à l’union sacrée de la gauche contre l’austérité.
Nous lançons à un appel à l’action commune de toute la gauche !
La FGTB Charleroi/Sud-Hainaut combat l’austérité sur tous les terrains : Fédéral, Régions et Communes.
Le saut d’index – La pension à 67 ans/ la disponibilité des PP –des services publics forts – et une fiscalité juste sont les 4 points dont découlent notre mot d’ordre de 24 h de grève pour la manifestation provinciale du 1er avril débutant à 10h à l’esplanade de la gare de Charleroi-Sud. »