Le 12 juin, contre la Croatie, l’équipe de foot du Brésil a ouvert à São Paulo une Coupe du monde à 10 milliards d’euros marquée par de nombreuses polémiques. L’un des tournois sportifs les plus suivis du monde est en train de se faire dans la douleur, au rythme de controverses successives et surtout dans le contexte d’un réveil politique de la jeunesse brésilienne contre les conséquences des mégas évènements prévus au Brésil (Coupe et J.O.).
Un réveil inattendu
En juin 2013, des millions de brésiliens sont descendus dans la rue à l’appel du mouvement «Passe livre» (liberté de circulation) contre l’augmentation de 20 centavos du prix du bus et pour les transports gratuits. Ce réveil spontané a surpris les puissants mouvements sociaux brésiliens qui perdaient de plus en plus d’influence du fait de l’illusion de croissance économique redistributive que partageaient jusque-là les Brésiliens.
Il y a quelques mois, les professeurs de l’État de Rio ont mené une lutte très dure et victorieuse malgré une répression très violente. Autre énorme surprise au Brésil, la Coupe des confédérations a été fortement perturbée par les manifestants, le pays du foot serait-il en train de basculer? A l’approche de la coupe du monde les observateurs s’affolaient: selon un sondage publié début avril, seulement 48% des Brésiliens étaient favorables à la tenue du Mondial dans leur pays, contre près de 80% en 2008, lorsque le Brésil venait d’être désigné par la FIFA.
Au cœur du problème réside le sentiment que le gouvernement brésilien a privilégié la construction de stades et la rénovation d’aéroports au détriment des programmes sociaux (éducation, santé, transports, etc.). À elle seule, la facture des stades s’élèverait à huit milliards de réaux brésiliens (près de 2,6 milliards d’euros), soit des dépenses quatre fois supérieures à ce qu’on avait estimé en 2007. «Nous souhaiterions voir les mêmes investissements dans les hôpitaux, les écoles ou le logement que dans les stades», explique dans O Globo un membre du mouvement Não Vai Ter Copa (Il n’y aura pas de Coupe), installé à Rio de Janeiro, qui critique les méthodes du gouvernement fédéral et de la FIFA.
Autour de la «Copa», de graves bouleversements
Renato Cinco, conseiller municipal d’opposition, membre du Parti du Socialisme et des Libertés à Rio a déclaré dans le journal O Globo: «La coupe du monde et les jeux olympiques ont été utilisés pour favoriser les entreprises qui travaillent dans la construction des stades (…) Il s’agit d’argent public, de l’argent du peuple brésilien qui est dépensé pour un évènement qui va seulement profiter à certains groupes d’entrepreneurs». Le déplacement de familles pauvres a été durement vécu par la population, 170.000 personnes sont concernées, certaines familles ont été déplacées à plus de 50 km de leur travail. Des incendies suspects dans les favelas ont eu lieu exactement à l’endroit où des projets de «super hôtel» étaient prévus. Aussi, le processus de «pacification» des favelas est devenu à certains endroits un processus d’extermination pure et simple des dealers avec son lot de bavures et notamment la mort du danseur et DJ de la favela Pavao-Pavaozinho, Douglas Rafael da Silva, meurtre policier qui a embrasé la favela en avril dernier. A ceci s’ajoute le prix de l’immobilier qui explose! La situation est plus que tendue.
Les accidents mortels sur les chantiers de construction ont alimenté l’indignation populaire. Le 8 mai 2014, le Brésil a enregistré sa huitième victime sur les chantiers du Mondial, lorsqu’un technicien de 32 ans est mort électrocuté alors qu’il travaillait à l’installation d’un réseau de télécommunications à l’aréna Pantanal, à Cuiabá, capitale de l’État du Mato Grosso. L’aréna Corinthians, à São Paulo, a été le théâtre de deux accidents majeurs, qui ont coûté la vie à trois ouvriers.
D’innombrables mobilisations naissantes et à venir
À quatre kilomètres de l’aréna Corinthians, où s’est ouverte la compétition, le Mouvement des sans-terre (MST) avec le mouvement des sans toit avaient installé un camp regroupant plus de 2.500 familles sur un terrain abandonné. Surnommé «la Coupe du monde du peuple», le campement avait pour objectif de «démontrer que les investissements de la Coupe du monde ne répondent pas aux demandes de ceux qui sont le plus dans le besoin».
Les mobilisations populaires avaient explosé à l’approche du jour d’ouverture. Les grèves ont éclaté comme le pop-corn qu’ingurgite la planète entière. Fin mai plusieurs manifestations se sont croisées, celles des conducteurs de bus, des profs de l’université, des conducteurs de métro en même temps qu’une nouvelle marche contre le Mondial.
Tout porte à croire que les protestations vont continuer car beaucoup de travailleurs n’ont plus peur. La liste est innombrable des secteurs en lutte et le paysage politique va considérablement changer au Brésil à quelques mois des futures élections présidentielles.
Enjeux
Un représentant des indignés grecs au Forum Social Thématique de Porto Alegre 2012 disait: «Attention à vous, le coup d’envoi de la crise économique grecque a bel et bien été l’endettement pour le financement des J.O. d’Athènes en 2004». Les brésiliens ont aujourd’hui bien conscience des problématiques à venir: Que vont devenir les milliers d’ouvriers du bâtiment après la Copa et les J.O.? Quelle sera l’ampleur de la dette? Que va-t-on faire ensuite des stades et méga installations et hôtels? Quelles seront les priorités de l’État Brésilien?
Après le réveil de type «indignados» de 2013, la mutation en mouvements sociaux plus «classique» a été rapide et peut peser durablement sur le rapport de force. Les mouvements sociaux ont su «recoller» au mouvement indigné et proposer des formes d’actions efficaces notamment contre la répression.
Enfin, le niveau de conscience s’étant considérablement élevé au Brésil avec un fort niveau d’analyse des discours officiels, notamment, concernant les chiffrages des projets, les mouvements sociaux pensent que le vote de la Présidentielle (obligatoire au Brésil) se fera avec plus de discernement que précédemment.
Pour finir en chanson, voici le refrain du dernier tube brésilien: «Je jure que je ne vais pas vous supporter, Sorry Seleção! Je suis brésilienne, je veux un nouveau Brésil… Sorry Seleção!».
Julien Terrié est syndicaliste, auteur du documentaire «Comuna» sur une occupation urbaine liée aux expulsions dues aux grands travaux a Fortaleza (à voir sur http://vimeo.com/m/21040885).
Cet article a été publié le 02 juin 2014 sur son blog http://oziel1996.blogspot.fr/