Cher Vincent,
Nous nous sommes rencontrés dans le sillage du « mouvement blanc ». A partir de points de vue différents – toi, l’écolo pacifiste, moi le trotskyste autogestionnaire – nous nous sommes découverts une préoccupation commune: appuyer Gino, Carine et les syndicalistes de gauche dans leur combat pour que la colère populaire prenne une voie démocratique et sociale, aux antipodes des tentations sécuritaires.
Nous avons fraternisé. J’ai ainsi pu suivre ton évolution toujours plus à gauche, toujours plus éloignée de la realpolitik des Verts et de ses compromissions. Je me souviens de ton enthousiasme au retour de Porto Alegre, après le voyage d’étude sur le budget participatif organisé par notre camarade Jipi. Je me souviens de ton intervention émue lors des funérailles de notre ami, des livres sur les révolutions que tu m’avais demandés en prêt, de nos projets lorsque tu as décidé de siéger comme député indépendant…
Je te retrouve aujourd’hui « à la tête de VEGA », comme disent les médias (pardonne-moi cette concession au star system médiatique!). Tu sembles avoir achevé ta mue politique. Tu te réclames désormais d’un anticapitalisme rouge-vert, d’un écosocialisme. Nous ne sommes plus aussi proches qu’il y a dix ans, mais nous convergeons une fois de plus, malgré tout. La situation est gravissime et le capitalisme ne pourra rien résoudre. Il s’agit donc de faire en sorte que la protection de l’environnement devienne un combat social, un combat de classe. La gauche peine à en tirer toutes les conclusions. Tu peux l’aider.
Il y a un point sur lequel tu n’as pas changé : tu te définis toujours comme un « porteur de la parole » des simples citoyens, des travailleur*euses, des exclu*es, de celles et ceux à qui on fait quotidiennement comprendre qu’ils feraient mieux de la fermer. Là aussi nous convergeons : il est temps, grand temps de se détourner des politiques qui veulent clouer le bec aux gens en leur disant « sans nous ce serait pire ». Il est temps, grand temps, d’envoyer aux parlements des « porteurs de la parole » de celles et ceux qui paient les frais de la gabegie capitaliste. C’est un enjeu des élections prochaines. Si on n’y parvient pas le 25 mai, le ronron néolibéral continuera sans fausses notes dans les assemblées élues. Pendant quatre longues années.
Le problème est que tu n’es pas le seul « porteur de cette parole », Vincent, et que VEGA n’est pas le mieux placé pour ouvrir la porte du parlement à la gauche de gauche. Le PTB occupe la première place. Son « porteur de parole » ne te convient pas à 100%? Je peux entendre cet argument. Mais la diversité justifie-t-elle la division ? Faut-il en son nom compromettre la victoire que l’élection de Raoul Hedebouw représenterait pour toute la gauche ? Imagine la déception pour celles et ceux que personne ne représente plus : qui risque d’en tirer profit ? Songe aux syndicalistes de Charleroi (et à tous ceux qui ont salué leur courage) qui appellent au rassemblement pour une alternative anticapitaliste: que leur diras-tu le 26 mai si on rate un siège à quelques voix près ?…
Inutile d’en dire davantage, tu connais mes arguments. Je ne t’exposerai plus la stratégie de la LCR, qui a décidé de mener campagne avec le PTB – sans rien abdiquer de son identité. Je ne te répèterai pas que le PC a pris la même décision et que VEGA ne vendrait pas son âme en rejoignant cette dynamique. Si je t’adresse cette lettre ouverte, c’est parce que la candidature de Frédéric Gillot sur la liste PTB pour le parlement wallon (dans l’arrondissement de Liège) place toute la gauche très clairement devant ses responsabilités.
Avec Gillot, l’expression « porteur de parole » prend un autre contenu. As-tu entendu son interview à la RTBF radio ? Cet homme-là n’a pas besoin de « porteurs » : il est sa propre parole, celle des sidérurgistes aux prises avec Arcelor, Mittal et leurs laquais politiques de tout bord. Ses camarades l’ont désigné pour que leur parole résonne dans l’enceinte parlementaire comme elle a résonné dans l’usine pendant près de trente ans. Gillot a déclaré qu’il se battrait pour les services publics et contre toutes les destructions d’emplois, à Caterpillar, en sidérurgie, et même à Ford-Genk. C’est la voix du monde du travail qui sort de sa bouche, Vincent. A l’heure où certains responsables syndicaux font la courbette devant le ministre PS Jean-Claude Marcourt, toute la gauche de gauche ne devrait-elle pas se battre avec enthousiasme pour que Gillot soit élu à Namur ? Poser la question, c’est y répondre, tu ne crois pas?
Cher Vincent,
Que tu veuilles construire VEGA, c’est ton droit, et cela t’honore. Que VEGA ait décidé de déposer pour cela sa propre liste de candidat*es au Parlement européen, tout seul, chacun est contraint de l’admettre. Mais ne vous laissez pas emporter par la tentation de vous affirmer en montrant votre « potentiel de nuisance » aux autres niveaux. Certains de tes amis ont déjà été trop loin dans cette voie. Coter Willy Demeyer au-dessus de Raoul Hedebouw et présenter celui-ci comme un clone de Kim Il Sung, c’est semer le poison de la division. Il faut arrêter ça.
Le 1er février, VEGA tiendra son assemblée de fondation et décidera de sa tactique électorale. J’espère que tu contribueras à calmer le jeu, pour préserver les chances de l’unité dans le futur. Ernest Mandel avait coutume de dire : « On peut faire n’importe quoi à la social-démocratie, sauf lui prendre des voix ». Or, des voix, elle en perdra cette fois-ci, mais elle veut au moins conserver ses sièges. Pour ce faire, elle ne compte évidemment pas sur le débat politique mais sur les manœuvres en coulisses… avec l’aide d’apparatchiks de la FGTB.
A cet égard, il faut rester vigilants. Il semble que l’un ou l’autre responsable syndical très lié aux « amis politiques » – donc très réticent à l’appel de la FGTB de Charleroi – pourrait miser sur le challenger VEGA, à l’insu de celui-ci. Avec un calcul simple: 4,5% + 1,5% = 6% mais pas d’élu…
Un proverbe latin dit : « Je crains les Grecs, surtout quand ils portent des cadeaux ». Sache bien, Cher Vincent, que certains soutiens syndicaux sont plus à craindre que « les Grecs ».