Notre camarade André Henry a écrit ses mémoires, qui retracent une des plus belles pages de l’histoire du mouvement ouvrier après-guerre: L’épopée des verriers du Pays noir. Nous avons demandé à une série de personnes de différents milieux de la gauche de commenter cet ouvrage. Nous publions ci-dessous la contribution d’Isabelle Stengers, professeure de philosophie à l’Université Libre de Bruxelles. Les textes déjà publiés sont consultables ici. —LCR web
Nous avons besoin de telles mémoires, et du message de joie et de fierté qu’elles transmettent — joie et fierté de ceux qui, sous la menace, ont su montrer combien peut être efficace et inventif un combat syndical organisé de manière démocratique et autonome. C’est le sens même de ce mot, démocratie, aujourd’hui vidé de son contenu, qui est en jeu dans l’histoire des verriers de Charleroi, et qui noue des liens vivants avec ce qui semble appartenir à un passé révolu, la lutte des classes. Il y a là une leçon cruciale pour tous ceux qui luttent pour un avenir digne d’être vécu. Non seulement cet avenir ne se fera pas sans lutte, mais la lutte, quelle que soit sa forme, ne doit pas avoir pour unique visée la victoire, mais aussi la vie, l’expérience vitale de devenir ensemble, les uns avec les autres, grâce aux autres et par les autres, capables de ce que l’on ne pensait pas possible. Et le combat des verriers montre que les deux sont tout sauf incompatibles. C’est parce qu’ils ont réussi à forger entre eux des liens de confiance et de solidarité résistant aux épreuves et aux tentatives de division qu’ils ont été, si longtemps, le cauchemar du patronat et du gouvernement. Ceux et celles qui liront les mémoires d’André Henry ne penseront plus jamais à ce combat en termes de défaite – ils n’auraient fait que retarder l’inévitable, nous demande-t-on de penser. Raconter ce qui s’est réussi à Charleroi est le plus précieux des antidotes contre le poison de désespérance qui nous est systématiquement inoculé.
—Isabelle Stengers