Le dialogue moderne, Ahmad Othman Omar
Le soulèvement de notre formidable peuple en septembre 2013 a réalisé bien des choses jusqu’à maintenant, que certains, mus par des intérêts ou par l’inattention ou encore en désespoir de le dénigrer et d’empêcher les insurgés de poursuivre leur soulèvement, allèguent que le seul objectif de ce dernier était le renversement du régime et que le maintien de ce dernier signifie la défaite totale du peuple. Une interprétation aussi plate de la nature du soulèvement, quelle qu’en soit la source, feint d’oublier premièrement qu’il a commencé sous la forme de protestations contre l’augmentation des prix des carburants et que ses objectifs se sont rapidement approfondis pour devenir le renversement régime, qui est l’apothéose de tous les autres, car c’est la condition pour décharger les masses de leur lourd fardeau. Deuxièmement, ils feignent d’ignorer que tout mouvement social avant de réaliser son dernier but, doit accumuler des réalisations inédites que le peuple n’aurait réalisées sans mouvement et sans protestations. Et pour que les insurgés et les masses de notre peuple ne sombrent pas dans le désespoir, il est impératif pour nous d’observer ce qu’a réalisé le soulèvement jusqu’à aujourd’hui, ce qu’il peut réaliser, ainsi que les conditions pour atteindre tous ses objectifs.
A notre humble avis, la chose la plus importante réalisée par le soulèvement a été de démasquer et d’isoler le pouvoir de la minorité parasitaire. De même il aura mis à nu son caractère en l’acculant à recourir à la violence comme seul moyen, celui-là même qui l’a porté au pouvoir et qui est la condition de son maintien. En ripostant au soulèvement, le pouvoir n’a eu d’autre choix que le recours aux forces de sécurité et l’organisation de milices privées, ayant échoué dans l’affrontement rue par rue et failli dans l’organisation de ses membres pour soutenir ses dernières décisions économiques catastrophiques. Il n’est pas parvenu à faire sortir dans la rue les adhérents de son parti et ses partisans, ni même les fonctionnaires du secteur public, ne serait-ce que formellement, -pour le soutenir. Il s’agit d’une baisse significative des capacités du régime et d’un isolement qui dévoile sa nature parasitaire et confirme sa coupure d’avec le peuple sur lequel il règne. Et voue à l’échec toutes les tactiques utilisées dans les années précédentes pour apparaître enraciné socialement et jouissant d’un soutien considérable de la rue soudanaise.
Le soulèvement a également fait passer le régime de l’offensive et de l’initiative à la défensive à tous les niveaux. Il n’a pas été en mesure de convaincre les membres de son parti et ses partisans de ses décisions économiques. Il n’a pas eu de moyen préférable pour affronter toute opposition, celui de tromper l’opinion publique à travers les médias et de diffuser des mensonges sur la nature du soulèvement et ceux qui le salissent par les allégations de sabotage. Il n’a pas pu renier la répression qu’il a menée par d’autres mensonges, et il a échoué à faire taire les voix libres et à écraser les manifestations par des moyens violents moins couteux politiquement, comme leur dispersion par les gaz lacrymogènes et les matraques. Il a été contraint à l’échec, et a utilisé d’autres armes en sa possession, à savoir la violence excessive, en s’appuyant sur ses milices privées de janjawid et ses forces de sécurité. Cela signifie qu’il est sur la défensive comme il ne l’a jamais été. Et comme le régime a échoué à écouler ses accusations de sabotage à l’endroit du front révolutionnaire et à convaincre les masses de son discours raciste, il incombe à ce front de développer son propre discours et de trouver la voie adéquate pour renforcer ses liens avec le mouvement populaire pacifique afin de favoriser le renversement du régime.
De surcroît, le soulèvement a contraint le régime à ôter le fard qui le recouvrait, depuis les fausses allégations sur la liberté d’expression et d’organisation et le faux cachet démocratique tant vanté. Il a dû fermer les journaux, interdire aux journalistes d’écrire, arrêter les écrivains et lancer une campagne d’arrestations massives incluant des militants de toutes tendances politiques, un secteur large de la jeunesse révoltée et non organisée. Cela a mis à nu la face hideuse et cachée du régime qui a eu recours à la torture des détenus et des admirables femmes arrêtées. Il ne fait aucun doute que cette campagne sans précédent, avec son cortège de répression et de violence excessive, n’est pas le reflet d’une puissance ou d’une invincibilité, mais celui de l’effroi et de la peur qui se sont emparés de ses dirigeants qui ont commencé à s’effrayer du moindre mot écrit dans les journaux que lirait celui qui pourrait l’acheter, au sein de l’élite de la société qui peut lire dans un pays où l’analphabétisme est endémique. Dans la même veine, nous interprétons le blocage d’internet par le régime et la poursuite de la censure des sites oppositionnels comme une reconnaissance que tous les fonds consacrés à étouffer la conscience et anéantir la volonté des masses ne parviennent pas à défendre sa politique au moment du refus et de la colère des masses.
Le régime a échoué à maintenir l’unité de sa propre base organisationnelle : l’onde de choc du mouvement de protestation est parvenue jusqu’au bureau du parti gouvernemental appelé le Congrès national. Trente et un de ses membres, dont cinq du bureau de direction, d’autres du conseil national (son appareil législatif) et certains officiers à la retraite, ont transmis un mémoire pour le président du parti et chef de l’Etat, qui proteste contre la répression disproportionnée du mouvement de protestation, contre le maintien de l’augmentation des prix des carburants en dehors de la voie institutionnelle et en l’absence de débat au sein du parti au pouvoir comme au sein du parlement fictif. Ceci illustre le fait que l’élite parasitaire au pouvoir a échoué à mener sa politique y compris dans ses institutions corrompues, et elle a préféré faire cavalier seul par ses décisions catastrophiques. C’est ce qui confirme qu’elle n’a pas confiance en elle et qu’elle se trouve dans une posture défensive et non offensive. Il est clair que le mouvement de masse non seulement a encouragé le groupe qui s’est autoproclamé réformiste à hausser la voix publiquement et hors des cadres du parti, mais il lui a permis de contester la commission d’enquête désignée par le chef du régime pour enquêter à son sujet. Dans la même veine on a la position d’un groupe de Saïhoun, qui n’a pas coupé les liens avec le régime, mais qui a affiché son soutien au droit du peuple à exprimer son refus des dernières décisions économiques et a condamné la violence utilisée à l’encontre des manifestants.
photo: Sudan’s Revolution News in English (facebook)