Mercredi 29 janvier, dès 17h, les manifestant-e-s se sont rassemblés face à l’ambassade espagnole à Bruxelles en réponse à l’appel lancé par la plateforme Abortionright.eu. Rapidement, nous étions près de 2.000 à nous diriger vers le Parlement européen dans un cortège largement pluraliste et aux accents internationaux. Beaucoup de citoyen-ne-s belges et espagnol-e-s, pas mal de travailleurs et parlementaires européens. Parmi les nombreux drapeaux, on comptait bien sûr ceux des associations féministes et des centres de planning familial, mais aussi des syndicats (plus discrets) et des organisations politiques, de la gauche radicale jusqu’aux partis gouvernementaux qu’on voit si rarement dans les rues! L’objectif fédérateur: soutenir les femmes mobilisées en Espagne contre le projet de loi qui, s’il est voté, renverra la plupart de celles qui veulent avorter vers la clandestinité, avec tous les risques que ça implique.
Ce projet de loi choque bien au-delà des milieux féministes, et c’est tant mieux! Une mobilisation d’ampleur est en effet nécessaire dans un contexte où les attaques au droit à la contraception et à l’avortement se concrétisent de plus en plus à travers des réformes rétrogrades adoptées par plusieurs gouvernements en Europe (voir notre précédent article ici). Il y avait clairement consensus parmi les manifestants de mercredi sur l’ampleur des menaces ainsi que sur la nécessité de stopper les reculs, tels que celui proposé en Espagne qui nous ramènerait plus de trente ans en arrière. Par contre, dans un cortège si hétéroclite, les divergences se marquaient davantage à propos des revendications à avancer et des moyens envisagés pour y parvenir.
L’urgence étant de défendre les droits conquis et d’éviter de nouveaux reculs, beaucoup se limitaient à ces exigences, oubliant par là les lacunes des législations existantes. Les mobilisations organisées en Espagne par le PSOE comme le « train de la liberté » vers Madrid le 1er février revendiquent essentiellement le maintien de la loi actuelle. C’est aussi la tonalité générale qui ressortait de la manifestation de Bruxelles. La loi espagnole actuelle – datant de 2010 et adoptée par le PSOE (PS espagnol) alors au pouvoir – est certes assez favorable, même davantage que la législation belge puisque, par exemple, elle autorise l’avortement jusqu’à 14 semaines de grossesse. Mais cette loi n’est pas la panacée; l’avortement reste inscrit dans le code pénal espagnol. Toute femme qui avorte sans parvenir, pour une raison ou l’autre, à remplir les conditions prévues par la loi est donc considérée comme une délinquante et soumise à des sanctions pénales. C’est pourquoi les féministes espagnoles n’ont jamais cessé de se mobiliser en faveur d’un avortement dépénalisé, libre et gratuit, comme elles continuent à le faire de plus belle depuis le dépôt du projet de loi le 20 décembre.
En Belgique aussi le droit à l’avortement n’est que partiellement dépénalisé et reste soumis à plusieurs conditions, comme prendre 6 jours de réflexion entre la première consultation en centre d’avortement et l’intervention, ou encore trouver un médecin qui accepte d’opérer dans les délais (12 semaines de grossesse), en sachant que tout médecin a le droit de refuser une telle intervention. Ce dernier point devient d’ailleurs de plus en plus compliqué face au manque de médecins formés en la matière ou simplement disposés à procéder à une IVG. Il y a donc encore des progrès à faire. Mais un petit sondage improvisé au hasard auprès de quelques manifestant-e-s démontrait que les carences de la législation sur l’avortement en Belgique restent peu connues. La plupart des « sondé-e-s » se satisfaisaient du fait que des retours en arrière ne sont pas encore à l’ordre du jour ici dans l’immédiat et se félicitaient que la loi n’aie pas bougé depuis son adoption en 1990… mais le problème est justement là! Quinze ans plus tard, il est grand temps de faire évoluer cette loi pour enfin dépénaliser l’IVG et obtenir le droit à l’avortement libre et gratuit.
Ce mercredi, nous étions tou-te-s d’accord sur le fait que le droit à la contraception et à l’avortement sont fondamentaux pour permettre aux femmes de disposer librement de leur corps. Mais certain-e-s feignaient d’oublier que nous ne pouvons pas y parvenir pleinement si d’autres législations nous empêchent de vivre dignement. Les prises de parole – peu audibles étant donné la foule et la disposition du cortège – ont fait la part belle aux parlementaires européens présent-e-s, principalement du groupe socialiste. Les élections approchant, leurs messages relayaient une constante: voter pour les « progressistes » (sous-entendu sociaux-démocrates) pour bloquer les retours en arrière en matière de droit à l’avortement. Pour les partis sociaux-démocrates, mener ouvertement bataille contre la droite en défense des droits reproductifs et sexuels est l’occasion rêvée de redorer leur blason « progressiste » tout en continuant à avaliser (voire même élaborer, comme en Belgique) les politiques d’austérité. On peut saluer la présence de ces partis dans les rues pour défendre le droit à l’avortement et à la contraception. Mais il faut souligner leur crasse hypocrisie quand ils prétendent défendre de la main gauche des droits qu’ils contribuent à saborder de la main droite. Le combat pour l’avortement libre et gratuit est en effet indissociable du combat contre les politiques d’austérité, pour une juste répartition des richesses, pour l’augmentation des salaires et des allocations, pour le maintien et le renforcement de la sécurité sociale et des services publics.
Après les mobilisations en solidarité avec les femmes espagnoles qui ont eu lieu à Edinbourg et Londres (11 janvier) ou le beau succès de la manifestation de Bruxelles (29 janvier), d’autres sont convoquées ce 1er février à Paris, Amsterdam, Lisbonne ou encore Istanbul. En Espagne, le « train de la liberté » partira le même jour de plusieurs villes vers Madrid pour exiger le retrait du projet de loi. Le mouvement féministe espagnol poursuivra les mobilisations les jours suivants à travers le pays et décidera mi-février de l’organisation d’une manifestation nationale sollicitant à nouveau la solidarité internationale (infos en espagnol ici). A suivre donc, en notant d’ores et déjà un prochain rendez-vous en Belgique, avec la manifestation pro-choice du 30 mars prochain (infos à venir bientôt sur ce site et sur facebook prochoice Belgium.
photo 1: JAC facebook / photo 2: Alex GD