27 mars 2014 : sourde aux protestations syndicales et autres, la Chambre adopte la réforme du chômage qui condamne 55.000 personnes à l’exclusion du droit aux allocations. La mesure avait déjà été promulguée par arrêté royal. En en faisant une loi, le gouvernement veut la rendre incontournable… Sa majorité (une abstention) lui donne des pouvoirs spéciaux contre les sans-emploi…
A noter : le double jeu du PS-Sp.a. Alors que la mesure fait partie de l’accord de gouvernement, alors qu’il l’a conçue (via la ministre Sp.a de l’emploi, Monica De Conink), alors qu’Elio Di Rupo l’a défendue devant les caméras en affirmant –quel culot !- que les personnes exclues verraient leur revenu augmenter au CPAS… voilà que le groupe PS de la Chambre dépose un amendement pour retirer le volet chômage du projet !
« Un moment inopportun »
Alain Mathot s’en explique : « La mesure arrive à un moment inopportun dans le climat économique actuel »… « Climat économique » ? Mon œil ! C’est évidemment la proximité des élections qui rend le moment « inopportun ». Cela crève les yeux lorsque Paul Magnette promet que la « réforme de la réforme » sera une exigence du PS… après les élections… s’il est assez fort face à la droite.
A noter : à ce moment-là, tous les partenaires du PS au sein du gouvernement sont furieux de la manœuvre. Y compris le Cdh : Catherine Fonck dénonce un « écran de fumée politique», un « exercice de communication virtuelle ». La droite flamande est encore plus virulente. « Inacceptable », tonne l’Open VLD. Lors du vote, sans surprise, le PS s’incline.
3 avril : au cours d’une réunion des chefs de cabinet des principaux ministres du gouvernement, surprise : PS et Cdh ensemble demandent un « assouplissement » de la loi… qu’ils viennent de voter, l’encre n’est pas encore sèche ! Avec le même « argument » que Mathot : la reprise économique que certains avaient prévue pour 2015 risque de ne pas être au rendez-vous…
A noter : les libéraux du Nord et du Sud sont contre, de même que le CD&V. L’histoire ne dit pas s’ils ont rappelé au PS le théorème de Schmidt (du nom du chancelier social-démocrate allemand Helmut Schmidt) : « les sacrifices d’aujourd’hui sont les profits de demain et les emplois d’après-demain ». Ils auraient pu, car c’est bien cette logique néolibérale qui guide l’action du PS depuis trente ans.
5 avril : André Antoine pousse une gueulante. Il dénonce le « manque de nuances » de la loi, demande au minimum sa révision et rejoint Magnette : « Ce sera une condition pour que le Cdh participe au prochain gouvernement », dit-il. Le ministre wallon va même plus loin : « Le mieux serait de l’abroger ». Et de demander que le stage d’attente des jeunes soit ramené à trois mois, contre six actuellement.
A noter : Antoine met le doigt sur un des aspects les plus révoltants de la loi, à savoir que les travailleur-euse-s à temps partiel qui touchent un complément du chômage ne sont pas considéré-e-s comme ayant travaillé. Ils et elles sont traité-e-s comme des chômeurs, donc exclu-e-s.
25 avril : le conseil des ministres décide de retoucher la loi sur le point soulevé par André Antoine. Les travailleur-euse-s à temps partiel seront donc considéré-e-s comme ayant travaillé, à condition qu’ils-elles aient été occupé-e-s à tiers temps au mois pendant une période de six mois ou plus.
Au fil des sondages
Pourquoi ce cirque ? Tout s’éclaire quand on met ces prises de position successives en relation avec les intentions de vote le 25 mai prochain.
En février, tout de suite après la conférence de presse de présentation du rassemblement PTB-GO, les sondages montrent un doublement du nombre de gens tentés par un vote en faveur de la gauche radicale. Passé substantiellement sous la barre des 30%, le PS devient nerveux. Il espère donc redorer son blason en faisant un peu de cinéma à la Chambre autour de son amendement.
Début avril, les sondages montrent que ce cinéma n’a pas eu le résultat escompté. La montée des listes PTB-GO s’accentue en Wallonie et à Bruxelles. La campagne de la FGTB fait mouche. Les politiciens les moins éloignés du mouvement syndical (PS et Cdh) commencent à comprendre que l’exclusion des chômeurs et chômeuses choque très profondément la majorité de la population. D’où leur tentative commune de convaincre les autres partis de la coalition qu’il faut revoir la copie. Sans succès.
Puis viennent les sondages de la fin avril. La gauche radicale se renforce encore (9% en Wallonie pour les listes PTB-GO !). Le PS bénéficie d’un très léger rebond, mais reste à un niveau très bas et ses pertes ne bénéficient pas aux autres partis traditionnels : tous reculent. En même temps, il se confirme que la NVA pourrait sortir des urnes comme le premier parti du pays. Premier en voix et premier en nombre de sièges…
Alors là, tous ces Messieurs-Dames se disent tout à coup que la situation est très sérieuse. Tous sont obligés de constater qu’un tel résultat contrarierait très fortement les chances de reconduire la majorité actuelle, déstabiliserait les partis traditionnels en Flandres et plongerait probablement le pays dans une nouvelle crise politique prolongée. Inquiétude au Palais et dans les cercles patronaux : « la Belgique ne peut pas se payer une nouvelle crise politique », l’austérité ne peut pas attendre, il faut un gouvernement qui gouverne, etc.
Tournant tactique
Du coup, tournant tactique à 180°.
Depuis sa création, le gouvernement Di Rupo a pour stratégie de tout céder à la droite dans l’espoir stupide de vider le bocal de la NVA et d’aider ainsi les partis traditionnels flamands à remonter la pente.
A un mois des élections, on inverse la logique : cette fois, la droite flamande lâche un peu de lest pour venir au secours de Di Rupo. Le raisonnement est le suivant : « La NVA ne recule pas, OK : faisons au moins en sorte que le PS ne recule pas trop».
Quant au MR, il aime utiliser l’épouvantail d’une coalition avec la NVA pour mettre le PS sous pression et donner ainsi l’illusion – profitable aux deux partis-que le PS est son ennemi juré… Mais il n’a aucune envie de négocier la formation d’un gouvernement piloté par la NVA.
On saura dans un mois si la concession est suffisante ou si, comme disait Churchill, c’est « too few, too late » (trop peu et trop tard).
En attendant, il faut bien voir que cette « réforme de la réforme » ne sort pas des clous néolibéraux.
Tout d’abord, la décision prise ne supprime pas l’injustice des exclusions massives : elle la réduit seulement (de moitié, selon les premières estimations). De plus, elle est totalement arbitraire : pourquoi une personne qui a fait pendant un an un quart temps devrait-elle être considérée comme chômeuse, alors qu’une autre, qui a fait un mi-temps pendant six mois, serait considérée comme ayant travaillé ?
Mais ce n’est pas tout. Selon la presse, le conseil des ministres justifie sa décision par la nécessité d’une « meilleure valorisation du travail ». Ce qui se cache derrière cette formule, c’est la volonté d’affiner la chasse aux chômeurs et chômeuses afin de faire le tri entre celles et ceux qui sont encore « employables » et les autres.
Le capitalisme a besoin d’une « armée de réserve industrielle ». L’expression doit être prise au pied de la lettre. Il s’agit que la masse des sans emploi puisse effectivement remplacer la masse des actifs. Si ce n’est pas le cas, la capacité du patronat de faire pression sur les salaires est évidemment émoussée.
La réforme votée par le parlement frappait sans distinction les chômeurs et chômeuses qui prouvent leur « employabilité » en bossant à temps partiel, d’une part, et celles et ceux qu’une longue exclusion de l’emploi, couplée à des problèmes psychosociaux, rend très difficilement « employables ».
Le combat continue
L’expression « une meilleure valorisation du travail » signifie que la réforme de la réforme vise en fait à maintenir les premiers dans l’armée de réserve, et à jeter les seconds au rebut pour en faire des « cas sociaux », à charge des CPAS. C’est un perfectionnement du système, pas un changement de cap.
Comme le note Freddy Bouchez, candidat d’ouverture sur les lites PTB-GO: « Les travailleuses et travailleurs à temps partiel avec compléments en allocations d’insertion n’étaient pas seulement confrontés à la limitation dans le temps. A première vue, ils peuvent encore être sanctionnés par le contrôle sur les recherches emploi dans lequel ils ont été inclus. Et si sanction, elle est lourde puisqu’elle peut aller jusqu’à six mois de suspension totale. Belle façon de « valoriser le travail » et de tenir compte du fait que « souvent les jeunes n’ont d’autre choix que le temps partiel ». Ils pourraient aussi être rattrapés par la transmission systématique d’infos du service public régional de l’emploi vers l’ONEM dans le cas où par exemple ils auraient oublié de renvoyer le talon réponse suite à une offre de travail envoyée par le service public régional de l’emploi. »
La secrétaire nationale de la FGTB, Anne Demelenne, s’est empressée de se réjouir de la décision du gouvernement: « Le PS et le Sp.a sont revenus à la charge, c’est un soulagement pour beaucoup de gens », a-t-elle déclaré. Son propre soulagement est en effet perceptible !
Comme beaucoup de ses semblables dans l’appareil syndical, la camarade Demelenne se demande désespérément comment rendre crédible son discours du « vote utile » en faveur du PS. La décision du gouvernement vise aussi à lui rendre la tâche un peu moins difficile. Il s’agit de maintenir le mouvement syndical dans sa position traditionnelle de subordination par rapport aux « amis politiques », afin d’éviter une profonde recomposition à gauche du mouvement ouvrier.
Pour la vraie gauche, syndicale et politique, la conclusion à tirer est à l’exact opposé : profitons du fait exceptionnel que les enjeux sociaux sont au centre de la campagne électorale, continuons le combat pour l’abrogation pure et simple de cette loi infâme ainsi que de l’activation des sans-emploi. Appuyons-nous sur le fait que la FGTB wallonne revendique dans des textes de congrès, le retour à un accompagnement volontaire et sans sanction et élargissons au maximum la brèche ouverte par les listes PTB-GO! C’est le chômage qu’il faut chasser, pas les chômeurs et chômeuses !