Isabel Serra est députée au Parlement et membre du Conseil Citoyen de Podemos dans la Communauté Autonome de Madrid. Cette militante d’Anticapitalistas est une des personnes les plus actives dans la préparation des assemblées d’adhérents que ce parti a décidé d’y organiser il y a quelques semaines.

Sous le nom de Reinicia Podemos, cette organisation, ainsi que d’autres secteurs et comités, de tradition critique, ont procédé à l’élaboration de nouveaux documents politiques et organisationnels. C’était déjà le cas lors de la première phase qui s’était alors accompagnée du choix de Miguel Urbán comme tête de liste. Qui le sera cette fois-ci n’est pas encore décidé vu que, à l’étape actuelle, l’idée est de « discuter de propositions ». Isabel Serra (Madrid, 1989) reçoit cuartopoder.es dans le local des députés européens de Podemos situé dans le quartier de Lavapiés.

isaserra

Quel est le bilan du processus d’élaboration de documents engagé par Reinicia Podemos ?

Notre appréciation est très bonne. Nous avons commencé en organisant une rencontre d’où nous sommes sortis avec beaucoup d’envie de travailler parce que nous avons vu que nous étions assez nombreux à nous reconnaître dans Reinicia Podemos. Nous avons eu ensuite des réunions pour préparer les documents et en fin de semaine dernière nous les avons concrétisés dans des propositions sur les 11 axes retenus. Près de 400 personnes ont participé à l’ensemble des réunions et nous en tirons un bilan très positif. C’est un succès qui a permis que les conclusions des débats se traduisent dans de nombreuses et excellentes propositions politiques et organisationnelles.

Vous avez critiqué la façon dont Rita Maestre et Tania Sanchez ont rendu publique leur plate-forme Proceso Adelante. Au niveau du Conseil Citoyen de la Communauté autonome, d’autres choix étaient-ils possibles ? Qu’aurait-il fallu faire ?

Dans la préparation de l’Assemblée Citoyenne, nous sommes partis de l’idée qu’il fallait d’abord organiser un débat politique, autour du projet que doit défendre Podemos au niveau de la Communauté de Madrid. Et ce n’est qu’ensuite, au vu des conclusions de ces débats, que seraient désignées la direction et les instances politiques. Malgré tout, et même s’il y aura sans doute un certain nombre de problèmes et d’interrogations relativement à leur choix, cela se passe bien. Il y a autour de 100 propositions de documents, le débat est engagé dans les comités et entre les différentes propositions. De ce point de vue c’est un succès.

Mais, même si le fait de « mettre en avant les personnes plutôt que les positions politiques » a pu provoquer un certain malaise, quel équilibre trouver entre propositions et porte-parole visibles ?

Il y a évidemment des personnes en vue et qui ont des idées et les défendent et font des propositions. Mais nous considérons qu’il ne suffit pas de mettre en avant des personnes, qu’il faut que cela s’accompagne d’un débat politique de bonne qualité autour d’idées. Si nous commençons par mettre en avant les personnes, ou à en faire une priorité, nous resterons dans une logique de confrontation et d’oppositions de personnes pour accéder à des postes et pas dans la discussion de projets pour définir ce que doit être Podemos.

De quel Podemos s’agit-il ? Quelles sont les lignes politiques principales du projet que défend votre plate-forme ?

Ce qui caractérise notre projet c’est notre conviction que nous avons besoin d’un Podemos qui rejette et affronte radicalement le bipartisme. Nous croyons que c’est ce socle qui a permis le succès de Podemos. Un Podemos qui retourne sur les places. Qui voit sa présence dans les institutions non pas comme une fin en soi mais comme un moyen. Qui utilise les institutions pour se lier davantage à la société civile. Nous nous trouvons plongés dans une crise de gouvernabilité, dans le cadre d’un affaiblissement de la mobilisation sociale où les élites économiques du pays, au nom de la philosophie du consensus et du sens des responsabilités, appellent Podemos à une attitude responsable dans le cadre du système politique actuel. Podemos a deux options possibles : soit participer à la sauvegarde du régime, en y jouant un rôle direct ; soit s’affirmer comme une opposition résolue. Autrement dit s’affirmer comme une force antagoniste qui postule au pouvoir, même si cela ne sera pas possible du jour au lendemain, et qui continue à se construire comme alternative au bipartisme.

Il y a d’autres propositions ou d’autres composantes qui ne défendent pas cette nécessité de s’affronter au bipartisme ?

Nous n’avons pas encore commencé à débattre des propositions. Quand nous commencerons à discuter avec les personnes qui ont élaboré les documents, nous verrons clairement en quoi consistent nos accords et nos différences. Mais si d’autres propositions défendent une conception de Podemos davantage proche des partis traditionnels comme le PSOE, dans sa forme politique ou dans les politiques qu’il défend, autrement dit dans une position de subordination, en défendant une politique qui bénéficie davantage aux élites qu’aux majorités sociales… dans ce cas je crois que les divergences seraient importantes. Mais, j’insiste, ce qu’il y a de bien dans le processus engagé, c’est qu’il y a beaucoup de sujets en débat et c’est dans ce cadre que nous identifierons les divergences et les accords.

Vous pensez réellement que des accords sont possibles avec d’autres propositions ? Vous vous sentez plus proche de l’initiative qu’impulse, entre autres, Ramón Espinar ?

Notre objectif est de construire un projet commun pour la Communauté de Madrid. Cela implique que, dans le processus que nous avons engagé, nous cherchons à établir des accords avec d’autres propositions ou avec les adhérents des comités. Quand nous allons dans les comités nous réalisons qu’il y a de nombreuses propositions intéressantes qui émanent des adhérents et que nous n’avions pas évoquées et nous les intégrons à notre plate-forme. Pour ce qui est de convergences avec d’autres orientations qui se sont affirmées, nous souhaitons parvenir à un accord avec elles, mais toujours fondé sur des convergences politiques et organisationnelles.

Tous les secteurs semblent aujourd’hui disposés à dépasser Vistalegre. Beaucoup disent des choses très voisines. Anticapitalistas a toujours critiqué le fonctionnement du parti, dès cet acte fondateur. Vous estimez que le temps vous a donné raison ?

Nous sommes tous d’accord pour constater que l’hypothèse qui a justifié le modèle organisationnel de Vistalegre est épuisée. Il s’agissait pour l’essentiel d’une hypothèse pour la période précédant les élections générales. Il faut se fonder sur une autre hypothèse. Pour celles que je connais, toutes les propositions s’accordent sur le fait que nous sommes entrés dans un nouveau cycle politique. Nos désaccords tiennent à ce que nous considérons que la machine de guerre électorale n’a pas eu que des effets positifs. Nous reconnaissons évidemment les acquis d’une force politique qui a conquis une représentation institutionnelle très importante. Mais nous croyons que ce modèle a entraîné une série de risques pour Podemos, d’erreurs organisationnelles, dans le discours et dans le programme, que nous avons aujourd’hui la possibilité de corriger. Il s’agit aussi de la culture politique induite par ce modèle organisationnel. Nous proposons de faire une pause, de regarder en arrière, d’examiner ce qui doit être changé et de le changer. Sans regard nostalgique mais avec la capacité de répondre à ces risques et de se tourner l’avenir.

Ce processus en cours pour la Communauté de Madrid est-il une anticipation du débat qui doit se développer à l’échelle de tout le pays ?

Oui. Il me semble évident que nous sommes toujours dans le cadre de Vistalegre. . Nous ne pouvons pas changer ce cadre général. Mais notre proposition trace une autre voie. Si nous réussissons à définir un projet commun pour la Communauté de Madrid qui offre une solution à ces erreurs et fasse des propositions, ce sera un progrès pour l’ensemble du pays et il faudra en tenir compte pour l’assemblée au niveau de l’État .

Dans les changements organisationnels que vous proposez, il y a la limitation des mandats internes et publics au sein du Conseil Citoyen. Quelle est la raison de ces propositions ? Le parti a eu des problèmes sur ces questions ?

Le modèle actuel a conduit à une concentration des pouvoirs. Une conséquence en a été l’institutionnalisation et la bureaucratisation. Nous avançons des mesures pour éviter que Podemos s’institutionnalise, se bureaucratise ou soit marqué par la concentration des pouvoirs. Le nom cumul de mandats permet à notre avis d’éviter cette concentration. Il y a beaucoup de personnes qui ont les qualités pour être dans les instances politiques de Podemos. Il ne faut pas qu’une même personne siège dans trois Conseils Citoyens. Limiter les mandats institutionnels doit nous permettre pour une part d’éviter que les décisions des organes politiques soient déterminées par ceux qui exercent ces mandats et qui ont beaucoup plus de moyens pour peser sur l’orientation politique de l’organisation. Ils ne doivent pas passer par-dessus les instances politiques même s’il faut une coordination, avec un minimum de membres du Conseil parmi ceux qui exercent une charge. Nous proposons la proportion d’un tiers.

Vous proposez également que la ligne politique du groupe parlementaire soit définie dans l’organe de direction correspondant. Ce n’était pas le cas jusqu’ici ?

On aurait pu mieux faire. La forme d’organisation de Podemos peut conduire à une plus grande institutionnalisation de l’ensemble du parti si tous les responsables internes ont des mandats publics et réciproquement. Il est arrivé que le travail institutionnel prime sur d’autres types d’activité telles la réanimation du mouvement social ou le débat politique.

Les rapports avec le PSOE sont une des questions en débat. Dans votre document vous rejetez la possibilité de former avec lui un gouvernement mixte. à l’inverse, Proceso Adelante préconise une « géométrie variable ». Pourquoi pensez-vous qu’il ne faut pas gouverner avec les socialistes ?

Notre position est de refuser tout gouvernement mixte avec le PSOE. Cela ne veut pas dire que nous nous désintéressons des situations concrètes et que nous refusons de les analyser. Autrement, nous ne ferions pas de politique. Nous nous définirons toujours en fonction des cas concrets. Mais former un gouvernement avec le PSOE peut nous réduire à une position subordonnée, obligés d’appliquer les politiques que le PSOE a défendues et mises en œuvre depuis bien longtemps. C’est pourquoi nous pensons que tout accord avec le PSOE doit reposer sur une série d’axes programmatiques fondamentaux. On peut soutenir l’investiture d’un gouvernement du PSOE pour qu’il applique une série de mesures, tout en restant dans l’opposition et en veillant à leur mise en œuvre. De toutes façons, nous nous situons actuellement au seul niveau de la Communauté de Madrid et de ses communes. L’idée qui émane des documents de Proceso Adelante, « gagner avant de gagner », peut conduire à des erreurs stratégiques fondamentales. C’est évident qu’il faut gagner avant de gagner au sens d’appliquer des politiques au bénéfice de la population quand nous avons des mandats publics. C’est une responsabilité qui nous incombe, évidemment. Mais nous aspirons à plus que cela. Nous voulons gagner dans un laps de quelques années. Et cela ne sera possible qu’en refusant de nous subordonner, d’appliquer la même politique que le PSOE, de leur ressembler davantage au lieu de s’affirmer comme antagoniques.

Cela me rappelle le précédent processus d’assemblée au niveau de la Communauté Autonome quand certains dirigeants comme Carolina Bescansa ont affirmé dans leur proposition qu’il existait un « Podemos pour protester » et un « Podemos pour gagner ». Reste-t-il quelque chose de cette conception, même si c’est en d’autres termes ?

Cette dichotomie est fausse ou ne correspond pas à la réalité de l’ensemble de Podemos. Nous avons connu ces dernières années un cycle de mobilisations sociales où les gens étaient dans la rue contre les politiques d’austérité du PP et du PSOE. Nous avons dû alors construire une alternative qui puisse réunir cette majorité sociale et la transformer en majorité politique. C’est pour cela que nous avons créé un outil, Podemos. Beaucoup des forces militantes qui étaient investies dans les mouvements sociaux se sont engagées dans les institutions. Nous devons maintenant ramener vers les mouvements les forces investies ailleurs. Il faut s’employer à réactiver la mobilisation sociale. Nous devons nous convaincre que la seule chose qui nous permettra de gagner, c’est de continuer à descendre dans la rue et à nous mobiliser.

Que pense Anticapitalistas des divergences de plus en plus visibles opposant Pablo Iglesias et Íñigo Errejón ?

C’est un débat fondamental qui va bien au-delà de deux tweets. Il s’agit de savoir si nous allons être partie prenante de la restauration et de la recomposition du régime ou si nous allons incarner l’alternative au bipartisme et, de ce fait, à un régime qui ne défend que les intérêts des élites économiques au détriment de la majorité. Nous partageons le point de vue de Pablo quand il affirme que le succès de Podemos est fondé sur la confrontation. C’est très clair dans nos documents. Nous avons besoin d’un Podemos d’antagonisme et de confrontation. Voilà pourquoi j’insistais sur le fait que si d’autres propositions dans Podemos défendent l’idée que la réponse à la crise d’identité que nous traversons consiste à ressembler davantage aux partis traditionnels et à défendre des politiques proches de celles du PSOE, nous ne sommes pas d’accord.

Quelle est la prochaine étape de l’assemblée et comment vont se constituer les candidatures ?

Actuellement nous nous rendons dans les comités qui veulent débattre, pour discuter aussi dans ce cadre avec les autres positions. Un processus de négociation, de fusion et d’accords avec d’autres composantes va se développer également, à la charge des signataires des différents documents. Pour nous, tout accord avec d’autres propositions doit être soumis à une assemblée de Reinicia Podemos avec l’ensemble des personnes qui y ont participé. Pour ce qui est des candidatures, nous n’avons pas encore envisagé les personnes qui pourraient franchir le pas pour intégrer l’instance politique. Ce qui est sûr, c’est que selon le projet qui sera majoritaire, les personnes devront choisir si elles sont candidates à diriger l’organisation. Ce sera déterminé par l’orientation adoptée.

Vous seriez prête à prendre la tête d’une liste ou à occuper un poste important si le projet de Reinicia Podemos est adopté ?

C’est une décision que nous prendrons collectivement dans le cadre de Reinicia. Nous n’en avons pas encore parlé et il y a beaucoup de personnes qualifiées pour faire partie du Conseil de la Communauté Autonome.

Traduit par Robert March.

Source : contretemps