Des milieux LGBTIQ dénoncent l’homo-nationalisme croissant. Ils refusent les politiques xénophobes et impérialistes menées au nom de la défense de leurs droits.
Un coq paré d’un boa rose, un buste de Marianne noire affublé d’un écriteau stipulant «Nos luttes vous émancipent», la création d’une section gay à l’Union démocratique du centre (UDC), des séjours pour Tel Aviv à gagner dans les soirées européennes branchées LGBTIQ (lesbiennes, gays, bi-trans-inter-sexuels et queers)… Voici quelques-uns des exemples cités lors de l’atelier «LGBT, homo-nationalisme et pinkwashing: nos luttes face à leur impérialisme», organisé récemment par Solidarités dans le cadre de sa sixième Université de printemps. Echos d’une résistance qui s’organise.
Homo-nationalisme
Elaborée par Jasbir K. Puar, chercheuse étasunienne plus connue sous le nom de Queen of Color, la notion d’homo-nationalisme renvoie au discours occidental visant à lier les intérêts nationalistes et ceux des personnes LGBTIQ. Pour Tarik Safraoui, responsable de la commission LGBT du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), venu de Paris pour l’occasion, «cette forme de nationalisme sert la xénophobie, plus particulièrement l’islamophobie, l’extrême droite et des politiques d’immigration racistes et restrictives. L’Europe fait entrer le gay blanc dans son projet national.» Selon lui, ce phénomène homo-nationaliste concerne également certaines sphères «moins prédisposées», comme les milieux de gauche ou les sphères LGBT elles-mêmes.
« Une pratique assimilatrice »
«A l’instar du fémo-nationalisme1, l’homo-nationalisme est une pratique assimilatrice», indique Gabriel Semerene, chercheur brésilien en relations internationales et genre qui participait à l’atelier. «Si, depuis cinquante ans, les organisations LGBT sont davantage politisées et visibles, l’asymétrie règne pourtant.» D’après lui, ce phénomène concerne en effet avant tout la classe moyenne blanche, cultivée et urbaine. «Comme pour le racisme, il est devenu ‘normal’ d’afficher sa distance vis-à-vis de l’homophobie.
Tout cela n’empêche bien sûr pas des modes de pensée ou d’actions intolérants, même si moins explicites. Mais après les attentats du 11 septembre 2001, l’image négative attribuée jusque-là aux LGBT a été transférée au terroriste. L’angle socio-politique des luttes LGBT a disparu, remplacée par une économie du corps aseptisée, lisse», relève le chercheur. Cette place nouvelle de l’homosexualité dans les discours publics a d’ailleurs inspiré à Eric Fassin, professeur de sciences politiques à Paris VIII, le concept de «démocratie sexuelle».
Pinkwashing
«On est passé d’une hétéro-normativité à une nouvelle politique de type néolibéral dont le fer de lance est l’assimilation par le mariage et la conquête de droits divers, poursuit Gabriel Semerene. En découle le pinkwashing, soit le blanchiment financier ou moral via l’instrumentalisation de la cause LGBT.» Ainsi Tel Aviv, «convertie en temple du pink money, tandis que des queers tombent sous les bombes israéliennes». L’auteur complète: «Stratégies de communication et mythe unique de la démocratie s’allient pour présenter Israël comme le paradis des LGBT. Cette logique homo-nationaliste envisage les LGBT comme une ethnie dont les membres sont born this way. Il n’y a plus de construction sociale, plus de liens. La dynamique et la complexité de la question ont disparu.»
«Plus largement, l’homo-nationalisme sert également à justifier l’impérialisme et la néo-colonisation, sous prétexte d’un choc sexuel des civilisations», relève Tarik Safraoui. Il y aurait donc à nouveau deux blocs. D’un côté, l’Occident civilisé, homophile et respectueux des libertés individuelles et, de l’autre, les pays du Sud autoritaires et rétrogrades.
Gabriel Semerene confirme: «Aujourd’hui, les homophobes seraient Africains!» Il ne faut pas oublier, ajoute-t-il, que ce sont les colons anglais qui ont imposé la criminalisation de l’homosexualité dans le Code civil des pays colonisés et que si l’homosexualité a été dépénalisée en Palestine en 1951, il a fallu attendre 1988 pour qu’Israël en fasse autant. «On assiste à une internationalisation du combat contre l’homophobie, qui s’immisce dans les rapports Nord/Sud et est stratégiquement utilisé par les élites.»
Tests d’homosexualité…
Tarif Safraoui explique qu’en Allemagne les candidats à l’immigration doivent répondre à des questions telles «Comment réagiriez-vous si vous appreniez que votre fils est homosexuel?» Ces questions font partie du Muslim Test, avec d’autres questions comme «Laissez-vous votre femme aller chez un médecin homme?» ou «Les auteurs des attentats du 11 septembre étaient-ils à vos yeux des terroristes ou des combattants de la liberté?»
Aux Pays-Bas, le pack de préparation au «test d’intégration civique» comprenait jusqu’à récemment un DVD montrant des scènes de flirt entre deux hommes. Sans parler des «tests d’homosexualité» auxquels étaient soumis jusqu’à peu les candidats à l’asile dans ce pays, les personnes LGBT ayant un statut migratoire privilégié. «Nous parlons de mettre le requérant d’asile devant un film ou une revue homo-pornographique et de vérifier l’érection de son pénis», souligne Gabriel Semerene, devant un public atterré.
Identités politiques
Tarif Safraoui ne nie pas que certains LGBTIQ sont attirés par des mouvances nationalistes. «Les LGBT ont été si longtemps stigmatisés qu’ils ont fini par souhaiter l’intégration. Il est agréable de se mettre du vernis progressif à moindre frais», avance-t-il. «D’ailleurs, il faut sans cesse répéter que le capitalisme intègre et récupère tout ce qui peut être subversif.» La réalité du pinkwashing montre bien, estime le militant, que nos identités sont politiques.
«Les luttes de genre ne sont ni plus importantes que les luttes politiques et sociales, ni moins. Il faut les mener en parallèle, déconstruire les cadres de l’ordre établi, en s’opposant à toute forme d’homophobie, de xénophobie ou d’instrumentalisation.» Et Gabriel Semerene d’ajouter qu’il ne faut pas céder à la tentation d’une vérité unique et applicable partout qu’il est nécessaire de «toujours se mettre du côté des opprimés».
- 1.Instrumentalisation de la rhétorique de l’égalité entre hommes et femmes à des fins racistes.
source: Le Courrier
image: Little Shiva