Pauline Forges (LCR) : « Pour nos écoles, prenons l’argent dans les caisses des patrons »
Pour la LCR, l’objectif du système éducatif doit être de former des citoyens critiques capables de participer pleinement à la vie dans une société démocratique et de choisir leur futur; et non de former une main d’œuvre flexible, corvéable à merci, façonnée sur mesure pour les besoins des classes dominantes. Une condition nécessaire pour atteindre cet objectif est que tou.te.s les élèves, quelle que soit leur origine sociale, leur genre, leur orientation sexuelle, leur couleur de peau ou leur confession reçoivent un enseignement de qualité. Or, depuis des décennies déjà, la Belgique s’est faite championne des inégalités scolaires. La Belgique est l’un des pays où le poids de l’origine sociale des élèves pèse le plus dans le parcours scolaire des élèves. Autrement dit, notre système scolaire est une machine à reproduire et aggraver les inégalités sociales. Plus d’un élève sur deux termine sa scolarité avec au moins une année de retard, et cela sans tenir compte des 20% qui décrochent avant la fin du secondaire.
L’enseignement a été particulièrement attaqué par les vagues d’austérité des années 80 et 90. Résultat : des dizaines de milliers de pertes d’emplois à la clé dans tout le pays, notamment sous les ministres…Di Rupo et Onkelinx côté francophone, un sous-encadrement consécutif dans les classes, un sous-financement criant des bâtiments, de l’entretien, des salaires au rabais pour le personnel enseignant, fusions d’établissements, privatisations de services dispensés (restaurants, sécurité, logements, etc.). Et ce, à tous les niveaux, du fondamental au supérieur.
Les dépenses publiques d’enseignement sont tombées de 7% du PIB à la fin des années 1970 à un peu plus de 5% aujourd’hui. Pourtant, le nombre des élèves et des étudiants a fortement augmenté, notamment en raison de la prolongation de la scolarité obligatoire et à l’augmentation du taux de poursuite d’études supérieures. La loi de financement des Communautés planifie une austérité structurelle. C’est dans ce contexte que Marcourt (PS) et le gouvernement wallon investissent 77 millions d’euros…dans des outils pédagogiques numériques (tablettes, etc.).
Notre enseignement est sous-financé, de la maternelle à l’université, de plus en plus impayable. Classes et auditoires bondés, profs pas remplacés, cours dans des containers… Les classes dominantes veulent une jeunesse maintenue dans l’ignorance, le travail précaire (voire la prostitution pour de plus en plus d’étudiantes) et l’endettement. Sauf pour une petite minorité privilégiée, bien sûr.
La dualisation du marché du travail a évidemment un impact sur le système éducatif : les futurs ingénieurs ou médecins et les futurs travailleurs hyper-précaires du secteur des services n’ont pas « besoin » du même type de formation. L’idée est donc de s’éloigner des savoirs et savoir-faire qualifiants, mais de valoriser, pour la majorité des jeunes, des compétences fragmentées mais qui rendent « employable » et « adaptable » pour les petits boulots flexibles. Plus nombreux seront les jeunes qui maîtriseront ces compétences, moins les salaires offerts pour ces « Macjobs » seront élevés.
Notre système scolaire ne fournit pas une formation « complète » à la jeunesse. Au contraire, on sélectionne et on hiérarchise très rapidement les jeunes dans des filières spécialisées. Nombre d’élèves ont du mal à maitriser les langues, des mathématiques de base, ou à l’inverse ceux de l’enseignement général sont très éloignés de la vie réelle. Et très peu reçoivent les outils pour exercer un esprit critique sur le monde social qui les entoure. Chacun est préparé à obéir et exécuter ou à encadrer. Un enseignement…« de classe ».
Dans l’optique capitaliste, l’enseignement supérieur (hautes écoles et universités) doit répondre rapidement aux demandes du capital et devenir lui-même “producteur de richesses”, “entrepreneurial”. Autrement dit, les universités et les hautes écoles doivent être gérées comme des entreprises privées. La compétition mondiale et la réduction des budgets publics visent à les forcer à agir de la sorte en renforçant leur dépendance envers des multinationales ou des mécènes (marketing, vente de cours on-line, chaires privées – Fortis ou RTL!). Les industriels, qui demandent que l’offre d’enseignement soit adaptée au marché du travail et au nombre d’étudiants inscrits aux cours, s’attaquent ainsi à l’indépendance du savoir dispensé et des recherches menées dans l’enseignement supérieur ainsi qu’à la relative démocratie interne des universités. Avec pour conséquence une recherche fondamentale agonisante et une recherche lucrative de plus en plus dangereuse (notamment dans l’industrie alimentaire ou pharmaceutique), car de moins en moins fiable. Cette même logique s’attaque directement à la liberté académique et aux libertés démocratiques. De cette marchandisation résulte une perte de sens pour beaucoup d’étudiant.e.s et, peut-être plus encore, de vocation pour les enseignants-chercheurs (qui connaissent en plus la perte de sécurité de l’emploi).
Le système de budget à enveloppe “fermée” (qui n’augmente pas en fonction du nombre total d’étudiants) conduit les universités et les Hautes écoles à une concurrence forte. En 20 ans, l’allocation de la Fédération Wallonie-Bruxelles a crû de 21% alors que le nombre d’étudiants a augmenté de 34%. L’allocation par étudiant a diminué de 9,1% en 20 ans. Ce système d’enveloppe fermée entraîne une guerre commerciale pour attirer les étudiants : moins d’étudiants signifie moins de financement aussi…
L’éducation et la connaissance sont des biens communs de l’humanité: les privatiser revient à empêcher le libre développement du savoir et de la culture. Le savoir s’apprend, mais ne s’achète pas.
Les élèves, les étudiant.e.s, leurs parents, les enseignants, le personnel administratif et ouvrier, les travailleur.se.s, les chercheur.se.s, et les académiques, soutenus par les syndicats, peuvent changer cette situation : par une mobilisation large, démocratique, unitaire combative et prolongée, pour un autre système éducatif, démocratique, égalitaire et auto-organisé, populaire et critique, et pour une recherche fondamentale basée sur les besoins sociaux et l’urgence écologique. Nous devons dès maintenant nous préparer à cette lutte pour faire payer la facture aux responsables de la crise capitaliste.
Face aux constats exposés ci-dessus, voici les mesures d’urgence de la LCR pour l’éducation :
1) Un tronc commun polytechnique jusqu’à 16 ans
Au plus les orientations sont précoces dans le système éducatif, au plus s’intensifient les inégalités dans le système. D’autre part, un long tronc commun permet de réduire le poids des inégalités sociales dans l’enseignement ; mais aussi les inégalités de genre, puisque la présence de branches distinctes dans l’enseignement accentue les déséquilibres dans la participation des filles et garçons. Il est donc indispensable de repousser le tronc commun jusqu’à 16 ans au moins. Ce tronc commun devra aussi être polytechnique en combinant sur pied d’égalité des activités intellectuelles, manuelles et artistiques, théorie et pratique, sciences de la nature et sciences sociales, afin d’éviter toute hiérarchisation des savoirs et compétences. Nous nous opposons à l’enseignement supérieur en alternance. C’est aux patrons à financer la formation professionnelle, et à rémunérer des stagiaires au moins au salaire minimum de leur secteur. Nous voulons l’arrêt des orientations professionnelles contraintes et basées sur des discriminations sociales, sexistes, racistes ou homophobes.
2) Des programmes et pédagogies pour l’émancipation
La pédagogie n’est pas une science exacte, mais cela n’empêche pas d’essayer d’améliorer les pratiques actuelles. Dans ce cadre, tout en respectant l’autonomie des enseignant.e.s, il est important de privilégier les pédagogies qui donnent du sens aux apprentissages, qui favorisent la compréhension ne se limitent pas à la mémorisation ou au savoir-faire. La diffusion de ces pratiques (sites internet, livres, formations) doit être facilitée par l’échange entre enseignant.e.s. L’enseignement doit aussi d’ouvrir les esprits de la jeunesse et d’enrichir sa compréhension et son respect de la richesse culturelle de l’humanité.Un cours de philosophie et d’histoire comparée des religions pour tou.te.s doit remplacer les cours séparés, et être complété par une intégration dans le programme d’histoire et de sciences sociales de cours traitant de l’histoire des migrations, du colonialisme, de l’esclavagisme. De même un cours d’éducation sexuelle, de lutte contre les préjugés et discriminations racistes, sexistes et homophobes doit être organisé dès la fin des primaires et au cours des trois premières années du secondaire.
3) Interdiction des redoublements et de la sélection sociale
S’il est bien une mesure qui est unanimement désignée comme inefficace par toute les études scientifiques sur le sujet, c’est bien le redoublement. D’abord, le redoublement porte sévèrement atteinte à l’estime de l’élève concerné et crée un stigmate qui modifie l’image de l’élève auprès de ses camarades de classe et des enseignants. Ensuite, le redoublement fonctionne comme un mécanisme de relégation sociale : systématiquement, ce sont les plus défavorisés qui sont sanctionnés. Notre solution est donc claire, interdire les redoublements. Nous nous opposons également au test en 1ère année de médecine et à tous les mécanismes d’examen d’entrée, y compris les tests « indicatifs » (qui découragent les plus défavorisés). Nous voulons la suppression généralisée du numérus clausus qui crée une pénurie de médecins dans nombre de communes en Belgique.
4) Un seul réseau public d’enseignement
L’existence de différents réseaux génère également des inégalités dans le traitement des élèves. Deux élèves dans deux établissements de réseaux différents auront plus de chances de recevoir des enseignements de qualité et d’exigences différentes. A l’encontre de ces institutions dépassées, nous revendiquons l’abolition des réseaux et la mise en place d’un seul réseau d’enseignement public. L’Eglise catholique n’a pas à gérer une partie de l’enseignement financé par les pouvoirs publics en Belgique.
5) De meilleures conditions de travail pour les enseignants
Pour nous, la qualité de l’enseignement n’est pas déterminée par les résultats aux évaluations externes, mais par les conditions de travail des enseignants. En l’occurrence, un enseignant ne peut assurer un suivi efficace de chaque élève dans une classe en comprenant 25. Il faut donc ouvrir autant d’établissements et engager autant d’enseignants qu’il le faudra pour arriver à faire des classes de 15 élèves maximum. De plus, les enseignants ne peuvent être divisés en fonction du niveau qu’ils ont à charge. Nous prônons donc une harmonisation du statut enseignant à travers un nivellement par le haut. En appui des programmes, les enseignants doivent disposer gratuitement de manuels, référentiels, recueils de documents, matériel audio-visuel, logiciels, listes de sites internet … Nous voulons également le retour à la prépension (ou « DPPR ») dès 55 ans, supprimée par le gouvernement PS-Ecolo-Cdh. Nous demandons aussi la fin des contrats précaires : tous les enseignants, du fondamental au supérieur, doivent être titularisés et statutaires. Nous voulons augmenter les salaires des enseignant.e.s et du personnel de 300 euros (nets après impôts et cotisations).
6) Des écoles, hautes écoles et universités réellement accessibles à tou.te.s
L’enseignement – y compris l’enseignement supérieur – doit être entièrement gratuit dans les faits : livres, cahiers, syllabus, activités extra-scolaires, matériel, outils, etc. Encore aujourd’hui, tous les jeunes qui sortent de l’enseignement obligatoire n’ont pas l’opportunité d’accéder à l’enseignement supérieur. Certains n’ont pas accès à toutes les formes d’enseignement supérieur s’ils se sont orientés vers le professionnel ou le technique de qualification. Mais aussi, le coût (minerval, kot, matériel, nourriture, déplacements, etc.) des études reste un obstacle de taille à l’enseignement supérieur. Nous défendons ainsi la gratuité des études supérieures et l’accessibilité de tous les jeunes diplômés de l’enseignement obligatoire à toutes les formes d’enseignement supérieur (cf. 3) question de la sélection). Il faut donc une allocation d’autonomie, à hauteur du SMIC, financée comme les retraites par des cotisations sociales et gérées par des jeunes et des salariés élus.
7) Un refinancement public de l’enseignement et de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Depuis que le financement de l’enseignement supérieur est soumis à l’enveloppe fermée, pas un sou de plus n’est attribué au supérieur d’une année à l’autre, alors que le nombre d’étudiants augmente d’année en année. Dans ce contexte, la qualité de l’enseignement ne fait que se dégrader depuis 10 ans. Pire, comme les financements varient d’un établissement à l’autre en fonction de la proportion d’étudiants accueillis, la compétition pour celui qui aura la plus grande part du marché étudiant fait rage. Notre solution est simple et pourtant indispensable : un refinancement public de l’enseignement à la hauteur de ses besoins, à 7% du PIB minimum. Nous voulons interdire le mécénat d’entreprise ou de riches particuliers, aux partenariats public-privé pour la rénovation de bâtiments, et la publicité doit également disparaître des campus et écoles. Au-delà, il faut une révision de la loi de financement des communautés, dans une logique respectant à 100% les besoins de l’enseignement. L’isolation/rénovation des bâtiments scolaires doit se faire dans le cadre d’un plan général d’isolation du bâti en Belgique, sous contrôle public et démocratique des travailleur.se.s et usager/ères, pour diminuer radicalement les émissions de CO2.
8) Un soutien fort à une recherche fondamentale, indépendante et critique
La recherche fondamentale et appliquée doit viser à satisfaire les besoins de la société et la curiosité intellectuelle, et non le profit. La recherche appliquée doit examiner de manière indépendante les dangers pour la santé des produits utilisés dans l’industrie, des OGM, etc. et chercher les meilleures façons de préserver notre éco-système. L’enseignement supérieur doit être décloisonné: les savoirs pratiques et la recherche concernent tous les étudiants, des universités comme des hautes écoles. Chez nous, les chercheurs doivent pouvoir bénéficier d’un statut stable, de moyens en suffisance et d’une rémunération qui leur permettent de mieux encadrer les étudiants et d’avancer dans leurs recherches. Pour lutter contre la “fuite des cerveaux”, l’enseignement supérieur européen doit développer une libre coopération solidaire avec les pays du Sud, par le transfert gratuit des connaissances et de moyens vers les universités du Sud. Nous défendons également le boycott académique et culturel des institutions israéliennes qui sont des complices actives de la colonisation et de l’oppression du peuple palestinien.
9) La démocratie dans le système éducatif
Les lieux d’études doivent être soumis au contrôle démocratique des étudiants, des travailleur.se.s et des professeur.e.s. La concentration des pouvoirs dans les mains des chefs d’établissement et recteurs doit être combattue. La police doit être interdite d’accès dans les écoles et sur les campus, de plus en plus envahis par le sécuritaire alors que les étudiants se mobilisent pour leurs droits comme pour ceux des sans-papiers. Le droit de grève doit être reconnu pour les élèves et les étudiant.e.s. Nous nous opposons à l’islamophobie, et refusons l’exclusion des jeunes musulmanes qui portent le foulard. La liberté d’expression doit être garantie dans l’enceinte scolaire.
Mobilisons-nous ensemble pour l’émancipation !
Parce que notre enseignement vaut plus que leurs profits !