En décembre dernier, Didier Reynders, chef de file des libéraux bruxellois et ministre des Affaires Étrangères, a publié un livre sous la forme d’entretien avec des journalistes : Didier Reynders sans tabou. L’ancien ministre des Finances y affirme que Marco Van Hees, Inspecteur au SPF Finances, collaborateur du service d’Études du PTB et auteur de plusieurs ouvrages fameux sur les connivences entre Reynders et le monde de la finance(**), n’est pratiquement jamais venu travailler pas au SPF Finances et qu’il est en congé politique. Didier Reynders prend probablement ses désirs pour des réalités. Prétendre que Marco Van Hees ne travaille pas aux Finances, c’est peu comme si on prétendait que Philippe Gilbert n’est pas coureur cycliste ou que Marouane Fellaini n’est pas footballeur !
Marco Van Hees a adressé le droit de réponse suivant à l’ex-ministre des Finances
Droit de réponse à Didier Reynders
Dans le récent ouvrage Didier Reynders sans tabou (Entretiens avec Martin Buxant et Francis Van de Woestyne, éditions Racine, 2013), le ministre libéral répond à une question portant sur les critiques de sa gestion du SPF Finances en proférant des calomnies sur ma personne. Voici ses propos retranscrits aux pages 90 et 91 :
« Il y a des gens qui s’opposent à tout, de bonne ou de mauvaise foi. Ainsi, un brave homme, Marco Van Hees, qui publie des pamphlets me concernant. Par exemple « L’homme qui murmure à l’oreille des riches ». Son grand thème, c’est qu’on ne lutte pas contre la fraude, que les multinationales sont trop favorisées, etc. Devinez le métier de ce monsieur ?…
– Contrôleur fiscal ?
– En fait, il n’est pratiquement jamais venu travailler à l’administration. Il est détaché, en congé politique auprès d’un parti d’extrême gauche. Pendant des années, il n’est pas souvent venu travailler au sein du SPF. S’il est vraiment convaincu qu’il faut lutter contre la fraude fiscale, pourquoi ne vient-il pas travailler avec ses collègues, ne fut-ce qu’une fois de temps en temps ? Mais non, il est détaché politique et est fonctionnaire des Finances sans jamais y avoir mis les pieds ; mais il publie des bouquins sur ce que le département devrait faire. »
En découvrant ce passage du livre, je me rends compte que l’attaque de Sabine Laruelle à mon encontre lors d’un débat de « Mise au point » (RTBF) en 2011 – « Monsieur Van Hees ferait mieux de travailler au lieu d’écrire ses livres poujadistes » – ne résultait nullement, en fait, d’un débordement agité de la future ex-politicienne, mais d’une stratégie de communication de l’ensemble du MR ou, au minimum, de sa branche reyndersienne (croisé dans les couloirs de la même RTBF, le tronc parental de la branche présidentielle du parti s’était contenté de me traiter de « crapule sympathique »).
Ce que je découvre aussi, c’est un Didier Reynders, généralement bon orateur, qui semble ici n’être pas au meilleur de sa forme pour répéter quatre fois presque la même chose avec, cela dit, des nuances quelque peu étonnantes :
– « Il n’est pratiquement jamais venu travailler à l’administration »
– « Il n’est pas souvent venu travailler au sein du SPF »
– « Pourquoi ne vient-il pas travailler avec ses collègues, ne fut-ce qu’une fois de temps en temps ? »
– « Il est détaché politique et est fonctionnaire des Finances sans jamais y avoir mis les pieds »
Aussi amusants que peuvent paraître ces propos, ils n’en sont pas moins calomnieux. Je suis entré au SPF Finances en 1991 (c’était le ministère des Finances, à l’époque), il y a donc 23 ans. Sur ces 23 années, j’ai pris 6 années d’interruption de carrière. Sur les 17 autres années, j’ai presté quelques années à plein-temps, mais majoritairement à mi-temps. Avec la perte de salaire que cela implique, mais que j’assume en tant qu’engagement politique et citoyen (non, je ne pourrai jamais me payer une villa à Uccle, dans le quartier Prince d’Orange). Je n’ai jamais été « détaché », ni en « congé politique ».
« S’il est vraiment convaincu qu’il faut lutter contre la fraude fiscale, pourquoi ne vient-il pas travailler avec ses collègues… » Là, par contre, Didier Reynders me surestime ! Croit-il vraiment que des prestations à plein-temps de ma part permettraient de compenser le véritable sabotage du SPF Finances qu’il perpétré en supprimant des milliers d’emplois et sans donner aux fonctionnaires restant les moyens matériels et légaux pour combattre efficacement la petite et surtout la grande fraude fiscale.
Lors d’un autre numéro de « Mise au point », le caricaturiste Kroll m’a dessiné partant à la chasse à la fraude avec une catapulte dans une main, un filet à papillons dans l’autre. Ce n’est hélas qu’à peine une caricature. Car si notre pays arrive dans le peloton de tête européen en matière de fraude fiscale, avec une perte pour l’État située entre vingt et trente milliards d’euros par an, je le dis franchement : non, à moi seul, en doublant mon temps de travail, je n’arriverai jamais à récupérer un tel montant.
Par contre – pour aborder le fond du débat que la réponse de Didier Reynders évacue ostensiblement – si mes livres, mes articles, mes conférences, mes interventions médiatiques ou mes investigations pour le service d’études du PTB contribuent au fait, qu’un jour, les intérêts notionnels soient supprimés, cela représentera un gain de quelques milliards d’euros pour les finances publiques.
Car s’il est vrai que dans mon combat contre ce nuisible et coûteux cadeau du ministre Reynders aux multinationales, je me sentais assez seul, politiquement, au début, aujourd’hui, jusque dans les rangs du MR, on n’ose plus trop défendre inconditionnellement les intérêts notionnels. Certains libéraux en viennent même à affirmer qu’à l’époque, cette mesure aurait été adoptée à cause du Parti socialiste.
Bien sûr, je peux comprendre que cela déplaise à Didier Reynders lorsque je relève que son ami le baron Collinet l’a invité à siéger au conseil d’administration du centre de coordination de Carmeuse, soumis à un taux d’imposition mirobolant de 0,8 %. Ou lorsque je signale que les deux principaux holdings de son ami Albert Frère ont payé 152 euros d’impôts sur 3,3 milliards d’euros de bénéfice. Ou lorsque je découvre que son ami Bernard Arnault a créé une fondation en Belgique pour y organiser sa succession (si la chose était restée discrète) et des sociétés financières pour y déduire des intérêts notionnels. Ou encore lorsque je démontre qu’il a offert Fortis presque gratuitement à BNP Paribas, alliée à l’ami Frère précité.
Le ministre préférerait, bien sûr, que je consacre l’entièreté de mes journées à œuvrer inefficacement dans un SPF où la démotivation et/ou la colère gagne de plus en plus d’agents. Mais il reste encore dans notre pays quelques droits démocratiques conquis de haute lutte par le monde du travail. N’en déplaise à certaines figures de son parti, tel le député Olivier Destrebecq qui tweetait, en mai 2013, alors que je participais à un débat télévisé : « Van Hees en pleine contradiction et décalage avec l’administration pour laquelle il travaille ! A quand sa démission ? »
Pour conclure, puisqu’un droit de réponse est, techniquement, assez difficilement applicables lorsque des calomnies sont débitées dans un livre, je demande aimablement au brave Monsieur Reynders de publier ce texte sur son site internet www.didierreynders.be. À défaut, je lui propose un débat dans un lieu public ou dans les médias. Cela permettra d’enrichir l’échange d’idées, à défaut d’enrichir les riches…
Marco Van Hees (6 février 2014)
Ajoutons que Marco Van Hees travaille non seulement au SPF Finances mais qu’en outre ses collègues de travail l’ont élu délégué CGSP.
Guy Van Sinoy
Militant LCR
Inspecteur (retraité) au SPF Finances
et ancien délégué CGSP