Le début des négociations entre l’administration du président Enrique Peña Nieto et le Comité de la Coordination nationale des Travailleurs de l’Education (CNTE) est un signal clair que la campagne diffamatoire gigantesque, l’assassinat sélectif d’activistes, les licenciements massifs, l’emprisonnement d’une douzaine des dirigeants du mouvement et les déclarations menaçantes du gouvernement répétant qu’il avait «perdu patience» n’ont pas réussi à intimider la mobilisation héroïque des enseignants. Bien au contraire: le mouvement a réussi à briser l’intransigeance d’un gouvernement qui avait pourtant assuré qu’il «ne serait jamais disposé à négocier la loi».
La grève de la CNTE a commencé le 15 mai dernier dans les États de Michoacán, Guerrero, Oaxaca, Chiapas, et bien d’autres régions du pays. Il n’y avait pas d’alternative laissée à ce secteur du syndicat des enseignants pour défendre non seulement leur droit à la sécurité de l’emploi, mais aussi le droit pour tous à une éducation gratuite avec un programme éducatif laïque, social et nationaliste. Tout cela qui risque aujourd’hui d’être remplacé par des critères individualistes dictés par les grandes puissances économiques internationales.
La grève a été lancée par les quelque 300.000 travailleurs et travailleuses du CNTE, un courant démocratique à l’intérieur de la corrompue et bureaucratisée Union nationale des Travailleurs de l’Education (SNTE). Cette dernière constitue le plus grand syndicat d’Amérique latine avec près de 1,3 million de membres mais son appareil est complètement subordonné aux diktats des gouvernements successifs. La grève a gagné le soutien actif des parents d’élèves et d’autres syndicats démocratiques, et elle s’étend chaque jour à de nouveaux secteurs encore sous le joug corporatiste du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), phénomène connu sous le nom «charrismo».
Différentes formes d’action
En plus des arrêts de travail, les enseignant.e.s du CNTE ont utilisé différentes formes de mobilisations pour renforcer leur mouvement et le rendre plus visible. La plus efficace de ces formes d’action a été de mettre en place des barrages sur les principales autoroutes et voies ferrées pour arrêter le transport de marchandises de grandes entreprises nationales et multinationales. Ces actions ont eu des conséquences sur les profits des propriétaires de ces entreprises et ont affecté le fonctionnement des secteurs-clés de l’économie, comme l’industrie automobile et le commerce de gros et de détail. Dans la ville de Nochixtlan, dans l’état de Oaxaca, la police militaire a massacré une dizaine de personnes qui soutenaient l’un des blocages des enseignants autochtones et des membres de la communauté. Ce massacre a mis en évidence le caractère criminel d’un gouvernement de plus en plus impopulaire, radicalisant et renforçant le mouvement.
L’ensemble de ces évènements a montré au gouvernement que, pour le moment, il ne pouvait pas battre le CNTE sans conséquences directes sur les chances, pour le Parti révolutionnaire institutionnel, de remporter les élections locales de l’année prochaine. Ses dirigeants ont aussi bien compris que la possibilité d’une vaste explosion sociale était réelle et le gouvernement s’est vu obligé de s’asseoir à la table des négociations, que ce soit pour «gérer le conflit» ou pour arriver à une sorte d’accord qui lui permettrait de refroidir momentanément un mouvement qui menace de déborder.
Un choc pour la classe dirigeante
L’ouverture des négociations a été perçue comme un choc pour une classe dirigeante habituée à imposer ses réformes néolibérales sans obstacles majeurs. Le patronat a exprimé sa colère dans des déclarations comme celle du Conseil de coordination des Entreprises qui cyniquement a exigé «le respect de la primauté du droit» et que tous les partis politiques doivent assumer «le coût politique d’une plus grande répression», ou celle de la Confédération des Chambres de Commerce menaçant à «arrêter l’investissement et la création d’emplois».
La bourgeoisie mexicaine sait très bien que derrière le CNTE, et derrière de nombreux autres secteurs aujourd’hui en lutte, il y a un potentiel suffisant pour amorcer un processus de renforcement de la classe ouvrière et la possibilité de faire tomber ses «réformes néolibérales». Peu importe si le CNTE décide de poursuivre ses mobilisations jusqu’à faire reculer la soi-disant réforme de l’éducation ou s’il accepte un accord transitoire. Tant qu’il continue d’exiger l’abrogation de la réforme, la liberté de ses prisonniers politiques, la réintégration des travailleurs licenciés, et l’annulation de la nature punitive des tests imposés par la réforme, tout en se renforçant à l’intérieur du syndicat SNTE dans son ensemble, nous devons continuer à entourer ce magnifique mouvement par la plus grande solidarité possible.
C’est en profitant de l’espoir suscité par l’ardeur de grandes luttes, comme celle menée aujourd’hui par le CNTE, que les syndicats doivent discuter et proposer des objectifs stratégiques pour changer le rapport de forces dans la société. Car peu importe sa grandeur et puissance, aucune organisation syndicale n’est suffisamment forte pour changer le cours du pays. Ce qui est nécessaire, c’est l’unité la plus large de la classe, la plus grande discipline et un programme politique propre pour être en mesure de le faire. Telle est la raison pour laquelle des dizaines de syndicats et de coopératives construisent une nouvelle centrale syndicale des travailleurs et des travailleuses.
La Coordination socialiste révolutionnaire est un espace regroupant différentes organisations mexicaines liées à la IVe Internationale. Traduction et intertitres, La Gauche.