Le PCF, organisateur de sa propre défaite
On a du mal à imaginer aujourd’hui ce que pouvait être le Parti Communiste il y a 45 ans. Hégémonique au sein de la classe ouvrière, profondément stalinien, entretenant des liens de fidélité absolue envers l’URSS et les cadres dirigeants du PCUS, il était pour la bourgeoisie tout à la fois un adversaire et un partenaire incontournable. Deux jours à peine avant le début du soulèvement de mai, le PCF semble jouir d’un solide état de santé. La manifestation parisienne du 1er Mai rassemble 100 000 personnes, à l’appel de la CGT et du PCF. Les organisations révolutionnaires, toutes tendances confondues, en sont impitoyablement chassées.
Au cours des six années précédentes, le ménage a été fait au sein de l’Unef et de l’UEC où les staliniens règnent désormais sans partage, reléguant toute opposition de gauche à de petites organisations, actives dans quelques facultés, essentiellement sur le terrain anti-impérialiste. Son seul souci réside dans l’absence d’un partenaire crédible pour mettre en œuvre son projet stratégique de constitution d’une union de la gauche préparant « une voie démocratique au socialisme ». D’ailleurs, un an plus tard, à l’occasion de l’élection présidentielle, ce rapport de forces sera confirmé par le score misérable du candidat de la SFIO, Gaston Defferre, qui réalise 5 %, alors que Jacques Duclos réalisera pour le PCF, le score important de 21 % des suffrages.
Un parti à contre-courant du mouvement
Autant dire que le PCF, parti de l’ordre, voit d’un très mauvais œil le développement d’un mouvement, celui des étudiants, qu’il ne contrôle pas. Totalement fermé à toute expression d’une radicalité spontanée, il ne cesse de multiplier les appels au calme, et de dénoncer les « groupuscules gauchistes ». Georges Marchais, alors membre du bureau politique, s’en prend directement à Daniel Cohn-Bendit, le porte parole le plus médiatisé du mouvement, le qualifiant dans un célèbre édito de l’Humanité au titre évocateur « de faux révolutionnaires à démasquer », d’« anarchiste allemand ».
Anti-gauchiste, anti-« boche »… anti-juif ? Il n’en fallait pas plus pour que les manifestants en fassent le symbole d’une identité commune, immortalisée dans le slogan « nous sommes tous des juifs allemands » toujours présent dés que l’on évoque Mai 68. Si les militants révolutionnaires avaient quelque influence dans le mouvement étudiant, il était loin d’en être de même au sein de la classe ouvrière. Le PCF, et sa « courroie de transmission » à cette époque dans les entreprises, la CGT, veillèrent à empêcher toute possibilité de jonction entre le mouvement gréviste et les étudiants dont ils ne voulaient à aucun prix. Tiraillés entre l’obligation de protester contre les brutalités policières et un mouvement gréviste qui se généralisait, dans un mouvement souvent spontané qui les dépassait, les dirigeants du PCF cherchèrent, dès le début de la grève générale, une sortie à la crise. Alors que le mouvement était à son apogée et la grève générale, Henri Krasucki, membre du bureau politique du PCF, et futur secrétaire général de la CGT, était contacté par un certain Jacques Chirac, alors secrétaire d’État du gouvernement Pompidou, afin d’envisager une sortie de crise acceptable aux « deux parties ».
Ces tractations au sommet, secrètes, en l’absence de tout contrôle des travailleurEs en lutte, allaient déboucher sur les « accords de Grenelle ». Malgré des conquêtes substantielles en matière d’augmentation du SMIC et des salaires, l’attribution d’une quatrième semaine de congé et la légalisation des sections syndicales au sein des entreprises, la reprise du travail fut difficile à faire admettre aux salariéEs, y compris au sein même du fief de la CGT et du PCF, les usines Renault de Boulogne Billancourt.
Parti de l’ordre moral, totalement à contre-courant des idées révolutionnaires portées par le mouvement, le PCF a tout fait pour brider Mai 68.
–Alain Pojolat