La Hongrie a connu en 1956 une révolte populaire d’une importance capitale, non seulement pour ce pays et ceux de l’Est européen, alors réunis dans le « glacis » contrôlé par l’Union soviétique, mais pour l’ensemble du mouvement ouvrier.1
Dans le système « socialiste d’Etat », 1956 était toujours nommé « contre-révolution », et son histoire réelle étouffée et déformée. La première loi votée en 1990 par le parlement du système capitaliste nouveau-né (en 1989) a rendu obligatoire l’appellation de « révolution » et de « lutte de libération ». Mais la nouvelle histoire officielle dissimule le fait que les travailleurs révoltés, les étudiants et les conseils d’ouvriers souhaitaient la réalisation d’un système socialiste autogéré, dont certains éléments étaient historiquement présents partout en Europe de l’Est.
La déstalinisation du système bureaucratique a en fait commencé en juin 1953 : les principaux dirigeants communistes dont Rakosi (secrétaire général du parti et premier ministre) sont convoqués à Moscou. Les dirigeants soviétiques jugent, d’après les informations qu’ils reçoivent directement de Hongrie, que la situation est critique. Ils imposent comme nouveau premier ministre un homme alors écarté du premier cercle du pouvoir, Imre Nagy, mais Rakosi reste secrétaire du parti. A partir de ce moment, la direction hongroise commence à osciller alors que se développent les prémisses d’un mouvement « d’en bas », d’abord parmi les intellectuels.
En mars 1955, Rakosi réussit à se débarrasser de Nagy. Cependant le XX° congrès du PC soviétique marque une nouvelle étape, qui va aboutir au départ de forcé de Rakosi en juillet 1956, mais surtout à l’ébranlement de l’ensemble de la structure du PC (alors dénommé Parti des travailleurs de Hongrie, PTH) et à la montée du mouvement populaire.
« Indépendance, liberté, Nagy au pouvoir »
Le 23 octobre, une foule énorme se rassemble à Budapest, en chantant l’Internationale et en reprenant le slogan « Indépendance, liberté, Nagy au pouvoir ». De jeunes ouvriers déboulonnent l’immense statue de Staline. Un cortège se forme, grossi par les ouvriers sortant des usines. Les dirigeants du parti, paniqués, lancent un appel aux troupes soviétiques. Des combats commencent (une partie de l’armée hongroise se rallie aux insurgés) avec les unités de l’AVH (police politique) et un mot d’ordre de grève générale est lancé le 24 octobre. Puis les dirigeants du PC décident de rappeler Nagy, unique dirigeant ayant la confiance populaire. Des dirigeants soviétiques arrivent à Budapest et portent à la tête du PC Janos Kadar, sorti de prison trois mois auparavant (stalinien fidèle, il avait été victime de la répression sous Rakosi).
A partir du 24 octobre, des comités révolutionnaires et des conseils ouvriers commencent à se former dans l’ensemble du pays. Surtout en province, ils prennent parfois en main l’administration locale. Nagy veut ramener le calme et rassurer les Soviétiques sans réprimer le mouvement populaire. Les troupes soviétiques évacuent Budapest : il est prévu que les résistants déposent leurs armes, mais beaucoup refusent. Comités et conseils se généralisent dans le pays.
Georg Lukacs, théoricien marxiste majeur, devint membre du gouvernement de Imre Nagy. Il a désigné les événements, de façon conséquente, comme une « révolte ». Il a signalé que l’histoire des deux semaines essentielles de 1956 (du 23 octobre jusqu’au retour des troupes soviétiques, le 4 novembre) a permis l’émergence des forces sociales très variées. Les acteurs principaux, au sens de l’histoire sociale, étaient la couche des étudiants et surtout la jeunesse ouvrière, très présente dans les groupes armés.
Parmi les acteurs du mouvement se trouvaient aussi des éléments hérités de l’époque de Horthy (le dictateur d’extrême droite, « régent de Hongrie » de 1920 à 1944) et incarnés par la cardinal Mindszenty (dignitaire le plus élevé de l’Eglise hongroise). Dans la nouvelle atmosphère de liberté, toutes les opinions pouvaient s’exprimer, jusqu’à l’extrême droite. Cette dernière s’est manifestée de façon flagrante le 30 octobre sur la place Koztarsasag (place de la République). Le siège du Comité de Budapest du PTH y fut attaqué, les assiégés se rendirent mais furent massacrés, avec notamment parmi eux Imre Mezo, soutien de Nagy.
Les trajectoires de Nagy et de Kadar allaient se séparer. Nagy cède au foisonnement des exigences populaires tout en appelant à la reprise du travail. Le multipartisme est instauré, la Hongrie proclame sa neutralité, mais l’attachement au socialisme demeure majoritaire même si des éléments anticommunistes s’agitent. Kadar va, lui, se faire l’instrument des Soviétiques dont les troupes entrent à nouveau en Hongrie le 2 novembre et à Budapest le 4. La direction soviétique avec Khrouchtchev a en effet décidé d’agir pour éradiquer le « mauvais exemple » hongrois, d’autant que le contexte international lui est favorable avec l’intervention d’Israël, de la France et du Royaume-Uni contre la décision égyptienne de nationaliser le canal de Suez.
La résistance armée dans certains quartiers industriels du Grand Budapest durera jusqu’au 11 novembre. Le nombre des morts est estimé à 2500 ou 3000. Pour Budapest seulement, 13 000 blessés ont été soignés, dont plus de 80 % étaient des ouvriers. Après l’écrasement de l’insurrection, les conseils ouvriers maintinrent une résistance active jusqu’à la mi-décembre.
1. Tamas Krausz est un historien hongrois, professeur à l’université de Budapest. Son texte – qui a servi de base à cet article – a été traduit par Gyozo Lugosi.
source: NPA