Les élections présidentielles du 17 novembre ont débouché sur un ballotage général : Michelle Bachelet, candidate de la « Nouvelle majorité » (démocrate-chrétiens, socialistes, communistes) obtient 46,68 % des suffrages contre 25,1?% à Evelyn Mattei (droite) et 10,96 % à Miguel Enriquez-Onamini. Les deux candidat·e·s de la gauche anticapitaliste, Marcel Claude (Todos a la Moneda) et Roxana Miranda (Igualdade) recueillent 2,8 % et 1,27 % des suffrages. Un second tour aura donc lieu le 15 décembre.
Au Parlement, la « Nouvelle majorité » n’a pas le quorum nécessaire pour opérer des changements constitutionnels, la droite ayant donc une minorité de blocage. Pour un bilan, « solidaritéS » s’est entretenu transocéniquement avec Carla Amtmann, porte-parole de Todos a la Moneda et dirigeante de l’Union nationale des étudiants.
Peux-tu nous rappeler la signification des deux listes de la gauche combative lors des élections présidentielles ?
Les candidatures de Roxana Miranda (Igualdage) et Marcel Claude (Todos a la Moneda) n’auraient jamais eu lieu sans les mobilisations, qui ont débuté en 2006 et atteint un point culminant en 2011. Elles sont l’expression d’un secteur politique non représenté dans le cadre électoral?; elles critiquent aussi le tournant du Parti communiste vers les partis néolibéraux et comprennent qu’en ce moment la lutte électorale joue un rôle important dans la formation d’une alternative. Les axes programmatiques de ces deux candidatures sont la récupération des droits sociaux et des ressources naturelles, ainsi que la convocation d’une Assemblée constituante.
Pourquoi l’impossibilité d’une seule candidature ? Cette division n’a-t-elle pas contribué à réduire la crédibilité des deux listes ?
On ne peut comprendre cette désunion par des explications conjoncturelles ou par un simple manque de volonté. En 1973, la gauche chilienne a vécu une dure défaite et, 40 ans plus tard, la fragmentation et la dispersion politique et idéologique restent présentes.
Les mobilisations ont permis d’avancer vers l’unité, mais nous en sommes encore loin. C’est une faiblesse, car on n’a pas trouvé les mécanismes permettant de déboucher sur un processus unitaire. Le mécanisme le plus effectif semble être la mobilisation et la rencontre programmatique.
Comment évaluer les résultats de Marcel Claude et de Roxana Miranda ?
Electoralement, c’est une défaite : nos forces n’avaient majoritairement pas d’expérience électorale ou ne représentaient qu’un faible pourcentage. Nous n’avons pas atteint le 5 % historique de la gauche (ndt : référence à la première candidature de Salvador Allende en 1952).
Mais il y a des avancées politiques : l’élaboration et la défense d’un programme, l’activité politique et sociale, l’expérience accumulée pour l’avenir malgré la défaite, nous ont renforcés et non affaiblis.
Le soutien, dès le premier tour, du Parti communiste chilien à la candidate de la Concertation, Michelle Bachelet, a-t-il rendu moins audible le discours de la gauche radicale ?
Le choix du Parti communiste de construire des «majorités» vers la droite, au lieu de préconiser la construction d’une force authentiquement de gauche, a influencé le processus et le résultat final. Mais notre bilan est centré sur nos erreurs, nos insuffisances et notre inexpérience. Aujourd’hui, notre défi majeur est de construire une gauche forte, avec ou sans le Parti communiste.
Comment le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) et le Parti communiste chilien Action prolétarienne (ndt : marxiste-léniniste) justifient-ils leur campagne pour l’abstention ? Que représentent-ils aujourd’hui ?
Il existe une critique profonde de la légitimité des institutions et du système politique, critique que nous partageons et qui s’est traduite par une forte baisse de la participation au scrutin. Ces groupes ont choisi d’approfondir cette dénonciation en appelant à l’abstention. A certains moments, nous pouvons accepter cette tactique, mais aujourd’hui nous devons combattre non la croyance dans le système, mais l’incrédulité par rapport aux alternatives à celui-ci. L’abstention s’inscrit d’ailleurs dans le cadre de la dénonciation et non de l’alternative. C’est pourquoi malgré le haut taux d’abstention (ndt : il frôle les 50 %) nous ne pouvons pas dire qu’il y avait des forces qui représentaients les non-votant·e·s, une frange d’entre eux·elles oui, mais assez marginalement.
De quelles manières, cette bataille électorale a pu donner une impulsion à la construction de la gauche anticapitaliste au Chili ?
Avant tout, elle nous a permis de visualiser et d’articuler derrière un programme anticapitaliste différents efforts et projets politiques et sociaux qui, avant ce pari électoral, étaient dispersés sur tout le territoire national. Cela nous a fourni une base minimale à partir de laquelle construire l’alternative dont notre peuple a besoin.
Source : solidaritéS
Jean Batou
Traduction de l’espagnol: H-P Renk