Il n’a pas fallu plus de 48h après la conférence de presse du Front Commun Syndical [1] pour apprendre qu’il manquait non pas 2,4 milliards d’Euros mais 4,2 pour l’ajustement budgétaire. « Pour suivre la trajectoire budgétaire reprise dans le programme de stabilité 2016-2019, un effort supplémentaire doit être réalisé à hauteur de 2,3 milliards d’euros en 2016 et de 1,9 milliard supplémentaire en 2017″, explique le cabinet du Budget. Et aussitôt la presse lâche quelques ballons d’essai. On évoque ainsi une liste de mesures envisagées par le gouvernement. Parmi ce « catalogue des horreurs » figure des hausses de TVA et la possibilité d’exclure du bénéfice des allocations de chômage les chômeurs qui disposeraient de « revenus suffisants » et à faire basculer cette catégorie de chômeurs du régime de la sécurité sociale vers celui de l’aide sociale. Ce serait un recul colossal ! Un de plus. Il faut encore ajouter à cela les « projets » de différents ministres : Van Overtveldt propose de baisser le taux d’imposition des sociétés à 20% (un tiers en moins !), le ministre des Pensions Daniel Bacquelaine souhaite troquer une augmentation salariale immédiate contre des contributions supplémentaires au système de pension complémentaire[2].
Faut-il attendre la déclaration de Charles Michel le 11 octobre -argument avancé à plusieurs reprises pour justifier le « gel » de l’action du 07 octobre- pour savoir comment nous serons mangés ?
Indéniablement, la décision des directions syndicales aura un effet démobilisateur sur de nombreux militants et affiliés qui se demandent pourquoi d’un côté, dans les pubs syndicales, on continue à leur rappeller « Saut d’index, gel des salaires, pension à 67 ans, prépension plus difficile à avoir, chasse aux chômeurs, chasse aux malades, coupes sombres dans nos services publics, travailler plus pour gagner moins selon le bon vouloir du patron… Venez dire votre ras-le-bol le 29 septembre ! »[3] et que ces (bonnes) raisons ne semblent plus de mise pour la suite du plan d’action ?
Du côté des milieux dirigeants du pays, la dérobade des directions syndicales qui annulent (« postposent », disent-elles) la grève générale du 7 octobre, est interprétée comme un feu (presque) vert : laissez-nous négocier quelques miettes avec Peeters et le patronat, on ne bougera pas plus en 2016, 2017, 2018 qu’en 2015. Un petit Nord-Midi le 29 septembre pour lâcher la pression, constater qu’on est moins nombreux qu’en 2014 et 2015, « comme c’est dommage »- et quelques communiqués pour s’indigner des nouvelles mesures d’austérité.
Les sondages politiques dictent la stratégie syndicale ?
On va faire le gros dos, en espérant qu’en 2019 une majorité « moins à droite » -ce n’est pas difficile- se profilera autour de la gauche du gouvernement (le CD&V de Kris Peeters) et la « gauche de gouvernement » (les PS-SPa).
Actuellement, cette « gauche » n’est pas prête, les sondages sont au plus bas, difficile de faire oublier ses 25 années de gestion de l’austérité. « Autant laisser ce gouvernement prendre les mesures impopulaires et incarner le ‘retour du cœur’ en 2019 », se dit-on dans les hautes sphères, constatant que les deux piliers du gouvernement, la NVA et le MR, sont aussi en recul. La stratégie c’est donc des déclarations assez radicales pour se refaire une virginité et « pédale douce » côté syndical.
Mais à droite, malgré l’usure du pouvoir qui se manifeste dans les sondages, on n’envisage pas de changer de cap, les donneurs d’ordre, le monde économique, fixent la ligne et on s’y tient. On sait aussi interpréter les sondages, on ne craint pas les attaques strictement verbales de l’opposition.
Bizarrement, le PTB/PVDA à une position assez symétrique, les sondages continuant à lui attribuer une nette progression, n’est-il pas préférable de continuer à se renforcer en vidant le bocal des forces sociale-démocrates ? En mai, Raoul Hedebouw analysait cette situation de la sorte : « Nous devons résoudre la question stratégique pour les dix ans à venir. Les sondages sont l’expression d’une envie de gauche et de sortir du cadre libéral. Mais ce ne sont pas deux ou trois députés en plus au PTB qui changeront la donne. Avant tout, il faut créer un rapport de forces extraparlementaire. Sans cela, rien n’est possible. [4]» Mais comment inverser ce rapport de forces si dans le même temps, « Le Parti » se montre plus critique envers les mouvements sociaux qui n’ont pas pu être complètement cadenassés par les bureaucraties syndicales[5] qu’à l’égard des dirigeants qui enterrent la lutte contre le gouvernement ou la détournent vers de pseudo-négociations ? Dès lors, les termes « faire tomber le gouvernement » font place à « le faire reculer » et aujourd’hui, plus soft encore, à « le bloquer ». Un copié/collé du glissement sémantique des directions syndicales.
Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner, mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu -Bertolt Brecht-
Les tergiversations des directions syndicales rendent la riposte au gouvernement plus compliquée. On n’évitera pas un débat sur le fonctionnement et les stratégies de nos organisations syndicales car il y a d’autres voies à explorer.
Dans l’immédiat, malgré ses limites, il faut réussir la manifestation du 29 septembre. S’en servir comme amplificateur pour répéter notre opposition déterminée au gouvernement des riches et des patrons. Mais aussi crier haut et fort que nous refusons qu’on continue à nous berner avec de pseudo-négociations, que nous refusons les mobilisations sans lendemain.
Et le 7 octobre (et au-delà), il est du devoir des militants combattifs de soutenir toute action, protestation, manifestation[6], la plus limitée soit-elle et de faire converger ces luttes vers un objectif clair : chasser le gouvernement.
[1] « La possibilité d’organiser une grève générale était liée aux intentions du gouvernement Michel de confectionner un nouveau budget pendant les vacances d’été. Depuis lors, le gouvernement a fait savoir qu’il ne présenterait son budget qu’en octobre. Les syndicats ne manqueront pas d’évaluer le nouveau budget lorsque celui-ci sera présenté. Si nécessaire, ils élaboreront des actions adéquates sans exclure aucun moyen. »
[2] Le « deuxième » pilier par capitalisation, le plus risqué vu les taux actuels -le gouvernement a lui-même réduit le taux garanti sur ces pensions de 3,25 à 1,75%- et les risques de nouvelle crise financière généralisée.
[3] Page Facebook officielle de la FGTB
[4] Le Soir – 20 mai 2016
[5] En mai/juin, le PTB a dit des grèves qu’elles risquaient d’être « contreproductives » et il s’est démarqué de la CNE et de la CGSP wallonne qui parlaient de faire tomber le gouvernement.
[6] On annonce notamment une manifestation des Services Publics à Wavre et un appel commun à l’action des centrales Métal de la FGTB et de la CSC.