Cela fait maintenant plus de quatre ans que les processus révolutionnaires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont débuté, et même s’ils ne sont pas terminés, leurs objectifs initiaux (démocratie, justice sociale, et égalité) n’ont jamais paru plus éloignés. La réaction sous toutes ses formes a engagé sa contre-offensive. Pourtant les aspirations à la liberté et à la justice restent entières, et les mobilisations se poursuivent.
Les deux forces majeures qui se sont distinguées et dominent la scène politique de la région sont les représentants des anciens régimes autoritaires, d’un côté, les forces islamiques fondamentalistes et réactionnaires dans leurs diverses composantes1, de l’autre. En Tunisie, par exemple, la formation arrivée en tête des législatives d’octobre dernier et ayant ensuite remporté les présidentielles de novembre-décembre 2014 est Nidaa Tounes (l’Appel de la Tunisie), qui représente les intérêts des anciens régimes de Bourguiba et de Ben Ali. Et en deuxième position arrivait le mouvement islamique réactionnaire d’En-Nahda.
Egypte
Le retour au pouvoir des représentants des anciens régimes ne se limite pas à la Tunisie, c’est un phénomène régional. En Egypte, l’ancien dictateur Hosni Moubarak a été blanchi, le 29 novembre 2014, des deux chefs d’accusation portés contre lui : la corruption et surtout son rôle dans la répression et la mort de plus de 850 manifestants au cours des 18 jours du soulèvement populaire ayant provoqué sa chute, en février 2011. Les fils de Moubarak, Alaa et Gamal, accusés d’avoir détourné ou facilité le détournement de plus de 125 millions de livres égyptiennes (environ 14 millions d’euros), ont également été acquittés. Les accusations qui pesaient sur sept hauts responsables de la sécurité, dont l’ex-ministre de l’Intérieur de Moubarak, Habib al-Adly, ont été abandonnées… Le régime de Sissi cherche en effet à réhabiliter l’ancien régime autoritaire de Moubarak et consort en poursuivant les mêmes politiques.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Sissi, au moins 1400 partisans des Frères musulmans ont été tués et plus de 15 000 sympathisants de cette organisation ont été emprisonnés. Le rôle contre-révolutionnaire des Frères Musulmans a déjà été abordé dans le passé, mais cela ne doit pas nous empêcher de dénoncer les exactions et crimes du régime de Sissi contre les membres de la confrérie, car cela constitue des violations de droits démocratiques de bases. Rester silencieux face à ces crimes, ce serait laisser le champ libre à la contre-révolution et trahir des principes de bases de défenses de droit démocratiques.
Le pouvoir égyptien ne s’est d’ailleurs pas arrêté aux Frères Musulmans, mais s’en est pris aux membres de l’opposition libérale et de gauche, incarcérant de nombreux militants, notamment pour avoir enfreint une loi controversée qui limite le droit de manifester. Début janvier 2015, le ministère de la Justice du régime de Sissi a également ordonné la saisie des biens d’un certain nombre de membres des Socialistes révolutionnaires, du Mouvement du 6 avril et de la Jeunesse pour la justice et la liberté, dans une liste de 112 personnes accusées d’appartenance à une organisation terroriste. Cette mesure est fondée sur une décision antérieure du pouvoir militaire considérant les Frères musulmans comme un groupe terroriste.
La contre-révolution incarnée par le régime de Sissi ne cesse d’avancer, avec le soutien résolu de l’Arabie saoudite et des monarchies du Golfe, et même officiellement du Qatar. Ce dernier, soutien du mouvement des Frères musulmans en Egypte et ailleurs, et qui accueille toujours des responsables de ces derniers, a exprimé son soutien au régime de Sissi, le 9 décembre 2014 dans le cadre d’une conférence du Conseil de coopération du Golfe, suite aux pressions exercées par les différentes monarchies du Golfe. Il reste à voir néanmoins si cela se transformera en pratique par un soutien actif au régime de Sissi.
En même temps, le mouvement des Frères musulmans sévèrement réprimé n’a pas fait une autocritique profonde de son passage au pouvoir et de ses politiques autoritaires et contre-révolutionnaire. Depuis la chute de Morsi, le mouvement a même renforcé son discours communautaire religieux agressif envers la minorité chrétienne copte, en l’accusant de toutes sortes de complots et d’être le principale responsable de la chute des Frères musulmans au pouvoir, tout en refusant d’apporter son soutien aux demandes sociales et aux nombreuses grèves de travailleurs réprimées par le pouvoir. Le seul mot d’ordre et slogan des Frères musulmans, adressé à ses partisans, le retour de Morsi, est loin des objectifs de la révolution (démocratie et justice sociale).
Syrie
Dans le cas de la Syrie, alors que dans le passé la solution d’un régime autoritaire sans Assad et avec quelques sections de l’opposition syrienne (libéraux et Frères musulmans) proche des Etats occidentaux et des monarchies du Golfe, mais non représentative des révolutionnaires syriens, était favorisé par les diverses forces impérialistes internationales et régionales, aujourd’hui ces dernières s’accordent à dire qu’Assad pourrait finalement rester et être un allié dans la soi-disant « guerre contre le terrorisme ». Le régime Assad serait dont blanchi de tous les crimes et destructions causés par ses forces armées et milices locales ou étrangères. On peut d’ailleurs constater que l’intervention en Syrie des Etats occidentaux, mené par les Etats-Unis avec la collaboration de certaines monarchies du Golfe, n’a pas eu beaucoup d’effets sur le terrain et n’a pas empêché l’avancée des forces djihadistes, particulièrement de l’Etat Islamique et de Jabhat al Nusra (branche d’Al Qaeda en Syrie). En Iraq et en Syrie, malgré la reprise de Kobané, ces forces djihadistes maintiennent une grande partie de leurs territoires.
De même, il y a toujours un refus des divers soi-disant « amis » de la révolution syrienne d’aider politiquement et soutenir militairement les composantes démocratiques et populaires de l’Armée syrienne libre (ASL) et les groupes kurdes du PYD (PKK syrien), qui ont combattu et combattent le régime Assad et les forces islamiques réactionnaires. Il faut d’ailleurs rappeler que ce sont ces deux composantes de l’ASL et PYD, en plus du mouvement populaire syrien, qui ont en premier lieu combattu, en payant un lourd tribut, l’expansion des forces djihadistes en Syrie, tandis que le régime Assad les laissait s’étendre et concentrait sa répression contre les forces populaires, civiles comme armées, démocrates et progressistes du pays.
La situation humanitaire et politique catastrophique en Syrie n’a pas empêché la continuation de résistances populaires, même affaiblies, dans différentes régions de Syrie contre l’autoritarisme des forces d’Assad et des groupes islamiques réactionnaires et djihadistes. Des manifestations populaires massives ont eu lieu début janvier dans la banlieue de Damas, à Beit Sahem, contre le comportement autoritaire de Jabhat Al-Nusra, tout en chantant des slogans contre le régime Assad. Dans les régions « libérées » d’Alep, des groupes révolutionnaires ont lancé un appel à la grève générale contre le kidnapping de personnels médicaux par les forces de Jabhat Al Nusra. Dans le quartier de Al-Wa’er à Homs, des manifestations se sont tenues avec des slogans demandant la chute du régime. Il faut savoir également que durant le mois de décembre, les « nettoyeurs » des régions « libérées » d’Alep ont manifesté et protesté contre les retards de paiement et la baisse de leurs salaires par la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution syrienne (opposition syrienne proche des monarchies du Golfe et des Etats occidentaux).
Tunisie
En Tunisie, comme dit précédemment, les deux forces arrivées en tête des législatives sont Nidaa Tounes, représentant les intérêts des anciens régimes de Bourguiba et de Ben Ali, et le mouvement islamique réactionnaire En-Nahda, qui a été au pouvoir depuis octobre 2011 en alliance avec le Congrès pour la République (CPR) et Ettakatol, considérés à l’époque comme des partis « sociaux-démocrates ».
Nidaa Tounes apparaît alors comme le choix le plus attrayant aux yeux des organisations patronales tunisiennes, des chancelleries occidentales et des institutions financières internationales. De son côté, En-Nahda s’est employé au pouvoir à continuer les politiques économiques et sociales ultralibérales de l’époque Ben Ali. En-Nahda s’est en outre engagé avec un zèle certain à respecter les engagements de la Tunisie envers l’Union européenne, le FMI et la Banque mondiale, pour se voir accorder de nouveaux prêts dépassant plusieurs milliards. En même temps, les syndicats combatifs et les demandes des travailleurs sont considérés comme ayant été parfois excessifs. Y compris l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), selon Ghannouchi (le chef d’En-Nahda) dans une interview de juillet 2014 où il l’accusait en outre d’être un héritage de la France et de ne pas constituer une institution « naturelle » de la cité musulmane.
L’arrivée au pouvoir d’En-Nahda n’avait pas fait cesser les violences contre les opposants, comme on avait pu le constater avec les assassinats politiques. De nombreuses attaques ont été menées par les milices, considérés à la solde d’En-Nahda, appelées « ligues de protection de la révolution » (LPR), ainsi que par des groupes salafistes. Différents mouvements politiques et sociaux ont été visés : des meetings politiques du Front populaire ou de ses composantes, ainsi que d’autres militants et associations (dont les artistes empêchés de se produire pour « violation des principes islamiques »). Sans oublier l’attaque des LPR contre le siège de l’UGTT à Tunis, avec bâtons, couteaux et bombes à gaz, causant plus d’une dizaine de blessés le 4 décembre 2012, 60ème anniversaire de l’assassinat du leader et fondateur du mouvement syndical tunisien, Farhat Hached. Cette violence s’était accompagnée d’un durcissement de la répression étatique contre les opposants, en particulier de nombreux syndicalistes arrêtés à plusieurs reprises du fait de leurs activités syndicales.
Avant de devoir quitter le pouvoir, En-Nahda et ses alliés avaient voté un budget d’austérité et des politiques antisociales et antipopulaires. Les nouvelles mesures fiscales ouvertement défavorables aux couches moyennes et populaires ont été le détonateur d’un large mouvement de contestation, provoquant non seulement l’arrêt de ces mesures, mais aussi la démission forcée du président du gouvernement, l’islamiste Ali Laarayeidh.
Bahreïn, Yémen et Lybie
Dans d’autres pays, les processus enclenchés en 2011 traversent également des situations difficiles. Au Bahreïn, le régime monarchique des Al Khalifa continue de réprimer les principales organisations d’opposition et les militants, avec le soutien des monarchies du Golfe qui accusent, de manière mensongère, l’Iran de soutenir les manifestants et de vouloir faire un coup d’Etat.2
La monarchie des Al Khalifa n’a cessé d’instrumentaliser les tensions communautaires contre les chiites, très grandement discriminés au niveau politique et social, pour diviser les classes populaires et décrédibiliser les manifestants hostiles au régime. Les services de sécurité du royaume continuent de réprimer violemment la plupart des manifestations populaires, tandis que des « élections » législatives ont eu lieu il y a quelques mois, complètement boycottées par l’opposition dans son ensemble qui remettait en cause le manque de transparence et de démocratie.
Le nouveau parlement est donc complètement inféodé au pouvoir en place. Le chef du principal parti d’opposition chiite bahreïni (le parti conservateur al-Wefaq, qui demande une monarchie constitutionnelle et non la chute du régime), cheikh Ali Salmane, a été arrêté fin décembre et se trouve toujours en détention. Malgré des protestations très ponctuelles et peu audibles, les Etats occidentaux continuent de soutenir le régime des Al Khalifa, particulièrement les Etats-Unis dont la 5ème Flotte est basée sur place. Washington considère sa base militaire au Bahreïn comme le principal contrepoids aux efforts présumés de l’Iran pour développer ses forces armées et menacer le Golfe.
Au Yémen, la solution qui avait été négociée par l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis en 2011, consistant à maintenir le régime en place en y associant d’autres forces politiques, tout en poussant vers la sortie le dictateur Ali Abdullah Saleh, a été laminée par la prise de la capitale, Saana, par les miliciens houthis (rebelles chiites) en septembre 2014. Les houtistes contestent la place laissée aux partisans de Saleh dans le « gouvernement de consensus » issu de la solution négociée, ainsi que l’immunité qui a été garantie au président déchu. Ils revendiquent l’attribution à la minorité houthie de portefeuilles ministériels dans un gouvernement composé en majorité de sympathisants du parti sunnite Al-Islah, la branche yéménite des Frères musulmans.
Les conquêtes territoriales des houthistes ont été facilitées par la faiblesse de l’Etat depuis le soulèvement de 2011, sur fond de problèmes sociaux et économiques profonds. Le pays est maintenant en proie à des conflits militaires entre forces politiques rivales, ainsi qu’à des manifestations populaires. La crise s’est encore aggravée récemment lorsque des miliciens houthistes ont pris d’assaut le complexe du palais présidentiel et encerclé la résidence du Premier ministre dans la capitale.
Un des principaux points d’achoppement est l’opposition, mêlée à des questions tribales et communautaires (avec les Houthistes, issus d’un courant du chiisme, contre des groupes islamistes sunnites dont certains se réclament d’Al Qaeda), entre le projet d’un Etat fédéral comprenant six régions, convenu en janvier 2014 au terme d’une conférence de dialogue national, et celui de la milice d’Ansarullah proche des Houthis qui veut un Etat formé de deux régions.
En Lybie, le pays est en proie à l’anarchie et à des affrontements violents entre forces politiques rivales. Il existe officiellement dans le pays deux gouvernements et deux parlements parallèles, l’un proche des miliciens de Fajr Libya (Aube de la Libye), considérée comme une coalition de milices de Misrata et des islamistes, et contrôlant Tripoli, l’autre reconnu par la communauté internationale et siégeant à Tobrouk, près de la frontière égyptienne.
Des discussions se sont ouvertes le 14 janvier à Genève sous l’égide de l’ONU, pour tenter de mettre en place une cessation des hostilités entre les différents acteurs politiques. De nombreuses milices armées se sont développées sans contrôle, imposant leurs lois dans certaines régions. Le sud du pays est ainsi le théâtre d’affrontements tribaux dans le cadre d’une lutte d’influence pour le contrôle de la contrebande dans le désert. La Lybie n’a pas retrouvé de gouvernement stable depuis la chute du dictateur Kadhafi en octobre 2011 et est passé sous la coupe de milices d’ex-rebelles qui se disputent les territoires de ce vaste pays désertique et riche en pétrole.
Oppositions et collaborations
Les oppositions entre représentants des anciens régimes et forces islamiques réactionnaires et fondamentalistes ont pu être constatés dans les élections législatives tunisiennes, comme à travers la répression des Frères musulmans en Egypte. Cela ne veut pas dire que les affrontements entre ces deux forces n’ont pas laissé de place à des alliances et collaborations à des moments donnés. Il faut se rappeler qu’après la chute de Moubarak, le mouvement des Frères musulmans en Egypte a entretenu des bonnes relations et même collaboré avec les dirigeants de l’armée, jusqu’au renversement de Morsi en juillet 2013.
De plus, lorsque les Frères Musulmans dominaient le parlement et occupaient la présidence, ils n’avaient pas remis en cause le pouvoir politique et économique de l’armée, ni dénoncé son rôle répressif contre le mouvement populaire, par exemple durant les 18 jours du soulèvement de 2011 ou lors des crimes de Maspero en Novembre 2011 contre les manifestants coptes. Au niveau économique, les Frères musulmans s’inscrivaient dans la ligne des politiques néolibérales de l’ère Moubarak, critiquant uniquement le népotisme et la corruption du régime. Cela ne les a pas empêchés de collaborer avec certaines figures du monde des affaires, proches du régime Moubarak.3 Leur programme politique et économique encourageait le démantèlement accéléré des services sociaux de l’Etat au profit d’un rôle accru du secteur privé et des associations de charités religieuses.
En Tunisie, Nidaa Tounes et En-Nahda ont collaboré à de nombreuses reprises dans le passé et n’ont pas caché leurs intentions de le faire dans l’avenir. Dans une interview d’octobre 2014, Rached Ghannouchi n’excluait pas la possibilité de travailler avec Nidaa Tounes et ajoutait que c’est le parti En-Nahda qui avait empêché l’adoption de la loi d’immunisation de la révolution, qui aurait permis à des personnes ayant appartenu à l’ancien régime de se présenter aux élections. A la suite de la victoire de Nidaa aux législatives, le vice-président d’En-Nahda, Abdelfattah Mourou, déclarait qu’il n’était pas contre le fait qu’En-Nahda fasse partie du prochain gouvernement. Le leader du mouvement Nidaa Tounes et candidat à la présidence de la République, Béji Caïd Essebsi, a d’ailleurs fait savoir que le mouvement En-Nahda n’est pas un ennemi, et a même indiqué que si l’intérêt suprême de l’Etat l’exige, Nidaa n’hésitera à aucun moment à former un front avec En-Nahda.
Lors des premières séances du nouveau parlement tunisien, cette collaboration a été remarquée. Le seul vote intervenu le 2 décembre concernait une suspension de séance de 48 heures, pour laisser davantage de temps à Nidaa Tounes et En-Nahda pour négocier entre eux et/ou récupérer chacun des alliés. Le Front populaire a été le seul groupe parlementaire à s’y opposer, rejoint uniquement par quelques députés indépendants. Lors de la deuxième séance, le 4 décembre, Nidaa et En-Nahda ont à nouveau voté ensemble pour les postes à pourvoir. Ghannouchi a déclaré fin décembre que Nidaa Tounes n’était pas le représentant de l’ancien régime et qu’il avait confiance en Caïd Essebsi, qui faisait partie de la révolution.
Le nouveau Premier ministre, Essid, représente en grande partie cette convergence d’intérêts. Il avait été ministre de l’Intérieur en 2011, dans le gouvernement intérimaire de Caïd Essebsi, alors Premier ministre après la chute du dictateur Ben Ali, mais aussi, par la suite, conseiller en charge des affaires sécuritaires auprès de son successeur, l’islamiste Hamadi Jebali. Auparavant, sous Ben Ali, Essebsi avait notamment été chef de cabinet du ministre de l’Intérieur, ainsi que secrétaire d’Etat à l’Environnement. En-Nahda s’est déclaré prêt à « coopérer pleinement » avec lui.
Le baron des affaires et soutien d’En-Nahda, Mohammed Frikha, avait déclaré auparavant que l’UTICA (le syndicat patronal tunisien) avait proposé aux différents partis, dont En-Nahda, d’intégrer des hommes d’affaires dans leurs listes, en précisant qu’il existait un certain consensus sur la ligne économique, notamment entre En-Nahda, Nidaa Tounes et d’autres tels que Afek (parti ultralibéral).
Contre les deux variantes de la contre-révolution
Ces deux acteurs, les représentants des anciens régimes et les forces islamiques réactionnaires et fondamentalistes, sont des ennemis acharnés des objectifs initiaux des processus révolutionnaires. Les mouvements populaires, militants et groupes portant ces objectifs ont d’ailleurs été attaqués par ces deux forces.
Il s’agit de deux forces contre-révolutionnaires, par-delà les différences entre leurs discours. Les représentants des anciens régimes se présentent comme des défenseurs du modernisme, des sauveur de l’unité de la patrie et des champions de la lutte contre le « terrorisme ». Les forces islamiques réactionnaires et fondamentalistes se présentent de leur côté comme les garantes de la religion islamique, de la morale, de l’authenticité de l’identité islamique et arabe, tout en faisant le lien avec la « Ummah » (communauté des croyants ou « Nation ») islamique.
Ces deux discours, certes divergents en apparence, ne doivent pas nous faire oublier que les deux mouvements partagent un projet politique très similaire : limiter et réprimer les droits démocratiques et sociaux, tout en cherchant à garantir le système de production capitaliste et à continuer les politiques néolibérales qui appauvrissent les classes populaires de la région. De même, ces deux forces contre-révolutionnaires n’hésitent pas à utiliser un discours visant à diviser et opposer les classes populaires sur des bases communautaires religieuses, ethniques, de genre, régionalistes, etc.
Les différences politiques qui ont choisi et choisissent de soutenir l’une de ces deux forces contre-révolutionnaires, en la présentant comme le choix du « moindre mal », font en fait le choix de la défaite et du maintien du système injuste dans lequel vivent les classes populaires de la région. Le rôle des révolutionnaires n’est pas de choisir entre différentes fractions de la bourgeoisie et de la contre-révolution, soutenues par différents acteurs impérialistes ou sous-impérialistes. Il faut en particulier souligner à cet effet les deux centres de la contre-révolution régionale que sont l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe d’un côté, qui soutiennent les forces des anciens régimes, et de l’autre le Qatar qui soutient les forces islamiques fondamentalistes.
Le rôle des courants progressistes est de s’opposer aux différentes forces de la contre-révolution et de construire un front indépendant de ces deux formes de réaction. Les forces progressistes doivent s’inscrivent sur des bases démocratique, sociales, anti-impérialistes, s’opposant à toutes les formes de discrimination et travaillant à un changement radical de la société, dans une dynamique par en bas qui fasse des classes populaires l’acteur du changement.
Face à ces affrontements ou collaborations entre les forces de la réaction, ne choisissons pas une des formes de la réaction. Il faut soutenir, construire et organiser une alternative populaire et radicale pour les objectifs initiaux des révolutions : la démocratie, la justice sociale et l’égalité.
Notes :
1 Cet ensemble s’étend des mouvements des Frères musulmans aux différents groupes djihadistes. Ces forces ne sont bien sûr pas similaires, des différences majeures existent entre elles, mais elles partagent une position contre-révolutionnaire face au mouvement populaire et aux objectifs de la révolution.
2 La population du Bahreïn est à majorité chiite, tandis que la famille régnante Al-Khalifa est sunnite.
3 Le président Morsi avait par exemple invité à faire partie d’un voyage en Chine Mohamed Farid Khamis, patron d’Oriental Weavers et alors membre du bureau politique et parlementaire du Parti national démocratique (PND), l’ex-parti au pouvoir du temps de Moubarak. Un autre membre du bureau politique du PND, réputé proche du fils de l’ancien président, Gamal Moubarak, participait également à la délégation : Sherif Al-Gabaly, membre du conseil d’administration de la Fédération égyptienne des industries et patron de Polyserve, un groupe spécialisé dans les engrais chimiques.
Source : NPA