Le Brexit est un évènement majeur, dont les conséquences sur le moyen terme sont encore difficiles à estimer. C’est aussi un évènement qui suscite d’importants débats dans la gauche et le mouvement social en Europe. La LCR/SAP publie donc sur son site plusieurs contributions qui nous semblent utiles. La première est l’article de l’économiste français et militant de gauche anticapitaliste Cédric Durand, intitulé « Le temps de la dislocation ». Le diagnostic de la mort clinique du projet « Union européenne » nous semble à ce stade-ci prématuré, vu l’importance de l’UE pour le grand capital européen et vu la capacité de celle-ci à se remettre des crises et à s’appuyer dessus pour se consolider, notamment dans ce cas-ci avec le départ d’un Royaume-Uni plutôt à l’arrière-garde de l’UE. Nous publions ensuite dans un second article la contribution de Phil Hearse, militant anticapitaliste britannique, sur les mythes et réalités autour de la campagne pour le Brexit telle qu’elle a été réellement menée et sur ses conséquences réelles dans le pays. Comme l’écrivent nos camarades Mauro Gasparini et Daniel Tanuro, il ne s’agit pas ici de projeter l’illusion que le Brexit serait un peu le match retour des peuples contre l’UE après le coup de force de juillet dernier contre le OXI grec aux mémorandums. Les pays et contextes concernés sont radicalement différents. La déclaration de Socialist Resistance, section britannique de la IVème Internationale et organisation-soeur de la LCR/SAP, appuye le point de vue assez sombre, du moins à court terme, sur le Brexit et ses conséquences. Quoi qu’il en soit, dans la tempête déclenchée par le Brexit, la gauche anticapitaliste européenne a intérêt à garder la tête froide et à chercher les possibilités d’action pour vaincre à la fois nos classes dominantes de « l’extrême-centre » et les courants politiques réactionnaires faussement « anti-establishment » qui veulent solutionner la crise par une politique encore plus autoritaire, ultralibérale et raciste. LCR-web
Royaume-Uni. Quelques faits et quelques fictions sur le Brexit
Une quantité énorme de commentaires et d’analyses est produite par la gauche et par les commentateurs du «centre gauche». Certains sont judicieux, d’autres relèvent de demi-vérités tandis qu’une partie n’est que du fantasme. Commençons par le côté fantaisiste de ce débat. «Une victoire contre l’austérité et le néolibéralisme» a été la première réponse publiée sur le site du SWP [Socialist Workers Party]. Cette description est complètement fausse.
Même si l’on affirme que le vote était surtout le résultat d’une révolte de gens de la classe laborieuse fatigués d’être complètement ignorés et surexploités, l’idée que ce vote est une victoire contre le néolibéralisme passe juste à côté de son contenu politique. Le contenu politique de ce vote est le suivant: le Brexit l’a emporté en raison d’une hostilité massive face à l’immigration. Une grande partie du vote est raciste ou au moins xénophobie.
En d’autres termes, des millions de travailleurs souffrant de la pauvreté et des inégalités croissantes, vivant une existence misérable sans voir une issue, ont été amenés lors de la campagne (et pour beaucoup, depuis longtemps) à une conclusion entièrement fausse: sévir contre les immigrants leur permettra de «reprendre le contrôle» et de résoudre leurs problèmes. Au contraire: la montée de [Michael] Gove [ancien ministre de l’éducation, actuel ministre de la Justice du gouvernement Cameron] et de [Boris] Johnson [maire de Londres entre 2008 et 2016] marque un déplacement politique vers la droite qui conduira à des attaques redoublées contre la classe laborieuse.
Les membres de la classe laborieuse ainsi que les couches les plus pauvres des classes moyennes sont souvent conduits, en particulier dans une période où les médias répètent avec force les mensonges néolibéraux, à soutenir des politiciens qui sont directement en opposition à leurs intérêts. Cela a été le cas avec le soutien massif apporté au Tea Party (dirigé et organisé par des milliardaires) ainsi qu’à Donald Trump aux Etats-Unis. Il en va de même avec Marine Le Pen et son Front National en France, ainsi que de nombreux partis de droite en Europe et ailleurs.
Une confusion à ce sujet a été répétée par Hannah Sell, secrétaire générale adjointe du Parti socialiste [formation qui portait, jusqu’en 1997, le nom de Militant, présente au sein du Labour et dans les instances dirigeantes de syndicats]: «Il est en même temps complètement faux de suggérer que le vote pour la sortie [de l’UE] avait – en large mesure – un caractère raciste ou de droite. Certains qui ont voté pour la sortie l’on, bien sûr, fait pour des raisons racistes ou nationalistes, mais le caractère fondamental du vote de sortie st celui d’une révolte de la classe laborieuse […] en réalité, aucun mouvement de la classe laborieuse n’est 100% pur, ne contenant aucun élément réactionnaire ou des courants souterrains. C’est la tâche des socialistes de remarquer ce qui est le plus important – dans ce cas, un électorat principalement composé de la classe laborieuse se soulevant contre l’establishment.»
Le côté évasif du terme «soulèvement de la classe laborieuse» dit tout. Il fuit le caractère politique précis du vote Brexit (qui est sans doute «le plus important») et se dissimule derrière son profil supposément sociologique. C’est un signe chronique d’une mauvaise évaluation politique.
Au-delà de la gauche radicale, au sein du «commentariat» libéral de gauche, nous trouvons des analyses perspicaces mêlées à de grandes simplifications quant au contenu de classe et au caractère politique des votes Remain et Brexit. John Harris, dans le quotidien The Guardian, a cité une femme de Manchester disant: «Si vous avez de l’argent, vous votez pour rester; si vous n’en avez pas, vous votez pour sortir.» John Harris ne répète pas lui-même cette formule simplificatrice, mais il considère toutefois qu’elle est largement vraie. En réalité, c’est une véritable simplification.
Tout d’abord, il est utile de se souvenir que plus de 16 millions de personnes ont voté Remain, un grand nombre provenant de la classe laborieuse et deux tiers parmi les partisans du Labour. Ensuite, toutes les grandes villes à l’exception de Birmingham ont voté Remain. Il serait faux de dire que cela s’explique simplement par la masse de personnes aisées et de petits-bourgeois qui habitent les centres-villes. Personne n’a pensé, par exemple, que la victoire de Saddiq Khan lors de l’élection à la mairie s’expliquait par une population londonienne largement composée de riches. En aucun cas. Il en va de même du vote Remain du centre-ville de Londres.
An contraire, des quartiers de Londres majoritairement multiculturels et de la classe laborieuse ont voté largement pour Remain. Il s’agit bien sûr d’un facteur, mais il est souvent clé: «multiculturel». Si l’on compare ces quartiers avec des zones comme Sunderland, où vivent très peu d’immigrants, qui a voté à 60% pour le Brexit.
Les seuls quartiers populaires de Londres qui ont voté Brexit sont Barking, Dagenham et Havering (bien qu’un autre quartier où vit un nombre important de travailleurs qui a voté Brexit, Hillingdon, depuis longtemps dominé par l’électorat conservateur, soit plus mêlé, son député local est Boris Johnson). Barking et Havering sont deux quartiers principalement «blancs» qui ont souffert un déclin économique et où une fraction de la classe laborieuse est appauvrie. Il s’agit de deux zones qui possèdent une histoire de soutien à l’extrême-droite.
Mais observons Haringey, avec des zones très délabrées et pauvres comme Edmonton et une grande partie de Tottenham [lieu d’importantes émeutes en août 2011]: 79% ont voté Remain. Parce que Haringey est massivement multi-ethnique et multiculturel. De manière indirecte, l’image de la classe laborieuse qui émerge d’un certain dénigrement des centres-villes est étrange. De nombreux travailleurs jeunes, qui vivent souvent dans les centres-villes, possèdent aujourd’hui des diplômes universitaires et des emplois dans le secteur des services (souvent mal payés). Et ils ont largement voté Remain. Il ne s’agit pas de «gros bonnets» qui ont tiré des avantages aux dépens des localités plus traditionnellement ouvrières du nord et du centre.
Une certaine image commence à émerger. Certes, des fractions significatives de la classe laborieuse (en particulier «blanche»), identifiées par des commentateurs tels que John Harris et Adiyta Chakrabborti, ont en effet voté pour le Brexit. Elles ont effectivement tendances à appartenir aux fractions les plus pauvres et les plus aliénées. Mais (voir le tableau), il y a d’autres facteurs culturels et politiques qui se sont montrés déterminants quant à la manière dont les gens ont voté. L’âge, tout d’abord. Il existe une adéquation presque parfaite entre l’âge et les intentions de vote, les personnes âgées entre 18 et 25 ans votant massivement en faveur du Remain et celles de plus de 65 ans pour le Brexit. Les personnes âgées ont une plus forte probabilité de voter et souvent en faveur de causes réactionnaires. A cela s’ajoute le problème permanent des jeunes gens exclu des registres électoraux en raison de leurs situations précaires de logement.
Ensuite, l’enquête qui a été publiée hier [24 juin] a montré que les gens dont les opinions tendaient vers la gauche ont voté Remain alors que ceux dont l’orientation est conservatrice ou de droite ont voté Leave. A l’exception des catégories «mondialisation» et «capitalisme» (50% des votants Leave et Remain les considèrent négativement), chaque catégorie significative telle que «immigration», «féminisme», «écologie» et «multiculturalisme» sont mal vues par ceux qui ont voté Leave. «Multiculturalisme» est vu négativement par 71% de ces derniers. Il est probable que cette enquête repose sur un faible échantillon, mais je doute que ses résultats soient infondés.
Enfin, le vote régional épouse fortement les zones où l’UKIP dispose d’une base électorale significative ou les endroits dont la tradition de droite est ancienne. Cette base s’est toutefois étendue au cours de la dernière période, dans le sud du Pays de Galle, par exemple. Le déclin industriel et celui du mouvement ouvrier, quelquefois combinés à une baisse de population à mesure que les jeunes s’en vont, ont fortement affaibli autant le Labour que la gauche. Rien de cela n’est nouveau.
Dans un article publié en 2009, j’écrivais: «si le succès de l’UKIP est fondé sur une campagne médiatique réactionnaire et xénophobe de longue durée, il a aussi été stimulé par des facteurs politiques et sociaux durables. Tout d’abord, et surtout, la défaite du mouvement ouvrier infligée par Thatcher et ses successeurs. Celle-ci a eu des effets structurels majeurs. Le mouvement ouvrier et de la classe laborieuse n’est plus ce qu’il était au cours de la décennie 1970. Le nombre de syndiqués a diminué et des centres importants d’une force ouvrière – dans les mines, les usines automobiles, etc. – ont été dispersés. Le néolibéralisme a approfondi les divisions de classe, conduisant aux centres des nouveaux riches et des pauvres de longue durée.»
La faiblesse des analyses réalisées par John Harris et Aditya Chakrobbati est qu’elles jouent sur les déterminants sociaux et économiques du vote Leave tout en minimisant les dimensions politiques et idéologiques. Il est possible, ainsi que l’affirme John Harris, que les nombreux votants Leave qu’il a rencontrés à travers tout le pays ne sont pas ouvertement racistes, mais dire cela revient à passer à côté de la question principale. Le fait est que ces gens ont été alignés derrière une vague xénophobe et anti-immigrés irrationnelle et empoisonnée. Cela se produit au milieu de l’hystérie en Europe contre les «vagues» de migrants qui se dirigent vers le continent en provenance de pays dont l’Occident est responsable de l’effondrement par ses guerres; ainsi qu’au cœur d’une montée islamophobe. Les gens ont de nombreuses raisons d’en avoir marre de l’UE. Mais ce n’est PAS pour cette raison que le Brexit a gagné. Il a gagné en raison de la place occupée par la «question de l’immigration» et le flux de mensonges déversés par les politiciens de droite, les médias et la presse.
Une chose est toutefois sûre: la responsabilité de la défaite du Remain ne peut être portée sur Jeremy Corbyn. Jeremy n’a sans doute pas fait une campagne brillante, mais il est difficile d’avoir un impact alors que les médias l’ont ignoré et se sont centrés sur les «deux ailes» du Parti conservateur [celle, autour de Cameron, en faveur du «Remain» et celle, menée par Boris Johnson et Michael Grove qui menait campagne pour le «leave»]. Le vote de confiance au sein du Parlementary Labour Party [sur Corbyn, le fonctionnement du Labour et ses différents «partis», voir cet article] demandé par Margaret Hodge [qui a occupé plusieurs ministères dans des gouvernements travaillistes depuis 2003; sa famille possède une entreprise active dans le commerce d’acier, STEMCOR] et Ann Coffey [elle a occupé une fonction auprès du ministre des finances entre 2007 et 2010, elle a voté en faveur de la guerre contre l’Irak en 2003] était prévisible. Ce qui n’était pas prévisible, en revanche, c’est la pétition signée par 140’000 personnes (à l’heure où j’écris [203’000 actuellement]) exigeant immédiatement un rejet de cette motion. Les tentatives pour se débarrasser de Jeremy Corbyn seront contestées avec force.
Il était certain que Polly Toynbee [membre de la droite du Labour, associée au Social Democrat Party dans les années 1980, elle tient une tribune dans le Guardian] se précipite pour soutenir les attaques contre Corbyn. Mais le camp des blairistes anti-Corbyn fait face à une contradiction insoluble qu’il ne pourra affronter. La déconnexion entre le Labour et une grande partie de ses anciens partisans de la classe laborieuse ne découle pas de la présence de Jeremy Corbyn à la tête du parti. C’est plutôt le résultat des gouvernements Tony Blair, du néolibéralisme supervisé par le Labour qui a mené à une augmentation de la pauvreté et des divisions. Ce camp veut revenir en arrière, avoir un Blair réchauffé ou une Hillary Clinton britannique. Leur réponse à ce qui est arrivé sera d’exiger que le Labour se déplace plus encore vers la droite. La gauche devra désormais s’unifier autour des campagnes massives et des luttes difficiles qui feront suite à la constitution d’un gouvernement conservateur de Johnson. Elle a aussi besoin d’entamer un débat stratégique de fond sur la succession de défaites de la gauche qui commence à s’accumuler à l’échelle internationale ainsi que sur comment construire un mouvement sur le long terme en une période de réaction.
Phil Hearse (Article publié le 25 juin sur le site LeftUnity.org, traduction A l’Encontre)
Déclaration de
Socialist Resistance
Le vote Brexit pour quitter l’Union européenne est une victoire de la droite xénophobe et un désastre pour la lutte contre l’austérité en Grande-Bretagne. C’est une victoire du racisme et un mandat pour renforcer les frontières de la Grande-Bretagne contre les migrants.
Nous affirmons qu’il s’agit d’un désastre sans avoir la moindre illusion quant à l’UE ou ses institutions (nous considérons qu’il s’agit d’un club de patrons néolibéraux). Ni parce que nous devons perdre du temps avec la campagne réactionnaire officielle menée par Cameron en faveur du «maintien» au sein de l’UE, qui, avec ses prétendues renégociations, s’est lancé dans une détérioration des conditions d’existence des travailleurs et travailleuses de ce pays, y compris les travailleurs migrants. Une sortie de l’UE en ce moment, et de cette manière, déplacera fortement le spectre politique britannique vers la droite et affaiblira la lutte contre l’austérité. Cela sera également un désastre pour tous les migrants, les réfugiés et les minorités de ce pays.
Il est intéressant de remarquer que Cameron a déclaré dans son discours de démission qu’il n’y aura pas de modification du statut des citoyens européens dans ce pays – «pour le moment».
Les millions de personnes qui ont voté pour le Brexit l’ont fait parce qu’ils acceptaient l’argument selon lequel la détérioration des niveaux de vie et des services publics étaient provoqués par l’immigration et non par l’austérité imposée par le gouvernement de Westminster. De l’autre côté, le camp du Remain n’a jamais précisé que les banques britanniques et les établissements financiers étaient responsables de la crise de 2008.
Ainsi que l’a précisé Left Unity dans sa déclaration: «Ce référendum est issu d’une pression de l’extrême-droite, alimenté par des sentiments contre l’immigration, sur une base de racisme. Cette campagne nationale a été la plus réactionnaire de l’histoire politique britannique, dont le résultat est l’apparition au plein jour de l’extrême droite.»
Cela est absolument exact. L’atmosphère était empoisonnée, la haine a été attisée et une députée a été assassinée par un fasciste criant «la Grande-Bretagne d’abord!», soit l’un des principaux thèmes de la campagne dominante pour la sortie de l’UE.
L’assassinat de Jo Cox est un événement profondément tragique, mais c’est aussi le résultat direct du carnaval de réaction provoqué par la campagne du référendum. Jo Cox défendait les réfugiés et était partisane de la campagne pour rester au sein de l’UE. La souillure et le fiel déversés par la campagne majoritaire pour la sortie, soutenue par une grande partie des médias et des politiciens de droite, ont non seulement renvoyé la Grande-Bretagne des décennies en arrière en termes de racisme et de xénophobie, mais ont aussi créé les conditions pour qu’un fanatique d’extrême droite, en lien avec des suprématistes blancs, abatte Jo Cox dans la rue.
Le référendum a rendu légitimes le racisme et la xénophobie comme jamais auparavant. Des déclarations ignobles, qui font écho à celle du député conservateur Enoch Powell [1912-1998], ont été crachées en toute impunité et acceptées par les médias comme appartenant à la catégorie des observations judicieuses. A la suite du tristement célèbre discours de Powell, connu sous le nom de «rivières de sang», en 1968, le dirigeant conservateur Ted Heath [1916-2005] a viré Powell, devenu ensuite un paria politique.
Seules quelques critiques légères et tardives, comme conséquence de l’assassinat de Jo Cox, ont été émises contre l’affiche raciste Breaking Point[«point de rupture», une rupture provoquée par un «afflux» de migrants syriens] de Farage [leader de l’UKIP]. Des images similaires ont été publiées dans les journaux sans provoquer de commentaires ou d’objections. Une plainte a été déposée contre le Daily Express [qui tire à plus de 430’000 exemplaires par jour] pour avoir placé en une pendant 17 jours successifs le «thème» de la migration.
Certains segments de la gauche et du mouvement ouvrier ont reconnu l’existence de ces dangers. Le lancement de la campagne Another Europe is Possible a été un pas important. Corbyn et [John] McDonnell [chancelier du cabinet fantôme pour le Labour, soit le représentant de l’opposition qui surveille le membre du gouvernement chargé des Finances], Momentum [l’élan, une structure qui soutient la gauche du Labour et Corbyn], Left Unity [coalition de la gauche radicale, créée en 2013] et Ken Loach ainsi qu’une grande partie des Verts et Caroline Lucas [dirigeante et députée des Verts] en particulier ont œuvré avec force pour endiguer le poison raciste. La majorité des dirigeants syndicaux ont pris une orientation correcte – autant UNITE qu’UNISON ont diffusé du matériel important contre le racisme et en défense des droits des migrants. Matt Wrack du FBU [Fire Brigades Union] et Manuel Cortés du TSSA [Transport Salaried Staffs’ Association] ont joué un rôle particulièrement important. C’est à porter à leur crédit.
Une grande partie de la gauche radicale, cependant, a soutenu le vote pour la sortie de l’UE et ladite campagne Lexit [contraction de Left et exit], laquelle eu une influence nulle sur le référendum. Elle a colporté l’illusion qu’une sortie de gauche était sur la table alors que ce n’était pas le cas et elle a faussement clamé que si Cameron était contraint de démissionner cela ouvrirait des opportunités pour la gauche. Même maintenant, après la victoire de la droite de Farage et des conservateurs, les représentants du Lexit tels que le SWP [Socialist Workers Party] affirment que le vote signifie une «révolte contre les riches et les puissants» et que le danger du racisme «est loin d’être inévitable».
Ils ne parviennent pas à reconnaître les dangers que la campagne majoritaire pour la sortie, conduite par des xénophobes de droite, représentait. Ils se sont montrés inconscients devant le racisme et la haine que cette droite alimentait, sur l’impact réactionnaire que cela aurait sur la politique et sur l’équilibre entre les classes ainsi que des dangers que cela représentait d’être associé d’une manière ou d’une autre avec eux: en particulier dans le cas d’un vote de sortie gagnant.
Ils ont choisi d’ignorer (même lorsqu’ils ont été contestés) la perspective nuisible qu’un vote de sortie aurait sur les 2,2 millions de citoyens européens qui vivent dans ce pays et dont le statut sera directement mis en cause. Il s’agit pourtant d’organisations qui se sont opposées au racisme et à la xénophobie depuis leur création. Rock Against Racism a porté un coup massif contre le racisme dans les années 1970 et pour lequel un large crédit doit être porté au SWP.
Dès que les résultats ont été annoncés, Farage occupait les médias pavoisant, parlant d’une victoire historique pour la libération de la Grande-Bretagne et de sa vision réactionnaire d’une Grande-Bretagne nouvelle. Il a été traité comme le dirigeant du côté gagnant. Il a déclaré que Cameron devait s’en aller immédiatement – ce qu’il a fait quelques heures plus tard – et que le nouveau Premier ministre conservateur devait être un brexiter afin de pouvoir mettre en œuvre le mandat du référendum.
Une élection à la direction du Parti conservateur va être enclenchée et sera réalisée avant la conférence de ce parti. Nous pouvons donc nous attendre à ce que des élections générales soient rapidement convoquées sur la base d’un manifeste dont l’objectif sera de mettre en œuvre ce qu’ils prétendront être le mandat du référendum: une action ferme contre l’immigration, le renforcement des contrôles aux frontières ainsi que, sans aucun doute, un statut restreint pour les citoyens de l’UE vivant dans le pays.
Il est très dangereux que se tiennent des élections à la fin de l’année, dans des conditions où la situation politique se déplace à droite. La gauche doit s’y préparer, tout comme le Labour Party.
Jeremy Corbyn a eu une position de principe au cours de la campagne référendaire: il a appelé à voter pour rester sans aucune illusion quant à l’UE et à ses institutions. Le débat sur la chaîne Sky TV News au cours de la dernière semaine avant le vote, par exemple, était imprégné par l’opposition à la xénophobie, aux privatisations et à l’austérité, cela devant une audience majoritairement jeune et stimulante. Le chancelier fantôme John McDonnell a lancé un appel radical contre l’austérité et le racisme lors d’un important rassemblement Another Europe is Possible à Londres avec Matt Wrack du FBU, Caroline Lucas et Yannis Varoufakis.
Les médias dominants ont toutefois présenté pendant des mois le référendum comme relevant principalement d’une bataille entre deux ailes du Parti conservateur. De nombreux députés du Parti travailliste hostiles à Corbyn ont accepté cela et sont apparus comme secondant les conservateurs sur divers plateaux de télévision. Quatorze ans de gouvernements travaillistes, de Tony Blair et de Gordon Brown, en faveur de l’austérité suivis par cinq ans d’opposition inefficace sous la direction d’Ed Miliband ont joué un rôle dans la désillusion des électeurs travaillistes. Des conseils municipaux travaillistes en place depuis des décennies ont échoué à se placer aux côtés de populations locales sous pression. L’hostilité face au manque de logements abordables, à la détérioration des systèmes de soin locaux, aux coupes budgétaires dans les écoles, etc. a pu être déviée vers la campagne xénophobe de la droite contre les migrants.
Dans certaines parties du pays – souvent là où le Parti travailliste et la gauche sont les mieux organisés – le vote travailliste a penché pour le Remain: à Londres, par exemple à Lambeth, lieu de fortes batailles contre les coupes budgétaires dans les bibliothèques, 79% ont voté pour rester; Bristol, où un partisan de Corbyn a remporté avec une large majorité la mairie il y a quelques semaines [Marvin Rees avec 68’750 voix contre 39’577], une majorité s’est exprimée pour le Remain [61%]; dans certaines des plus grandes villes du nord – Manchester [60%], Liverpool [58%] et Newcastle [50,7%] – il y a eu des majorités similaires en faveur du Remain. Mais dans la grande majorité des bastions travaillistes en Angleterre et au pays de Galle, là où les partis locaux sont moribonds depuis des décennies et où l’appareil du parti est fermement tenu par la droite travailliste, les électeurs travaillistes ont protesté contre la condition qui est la leur en votant Leave.
Les bastions travaillistes en Ecosse, opposés à la position unioniste du Labour, se sont ralliés à un Scottish National Party dont le discours est plus à gauche et chacun des 32 districts écossais a voté Remain, créant ainsi une crise constitutionnelle qui pourrait aboutir à un second référendum sur l’indépendance.
Corbyn fait désormais face à une contestation en provenance d’un Labour Parliamentary Party largement hostile en raison de son prétendu échec à mobiliser suffisamment les électeurs. C’est pourtant dans les zones que la droite contrôle le parti que le vote travailliste n’a pas pu être galvanisé sur la nécessité du Remain contre l’austérité et la xénophobie. La base du Labour et les syndicats doivent se battre avec force en défense de Corbyn contre le parti parlementaire et toutes les tentatives visant à le destituer.
Si le Labour entend remporter les élections, probablement à la fin de l’année, contre un parti conservateur dirigé par une direction Boris Johnson-Michael Gove revigorée et inclinant plus à droite, dont le manifeste prétendra freiner l’immigration et affirmant l’autorité du référendum, il doit le faire sur la base d’un programme radical de gauche s’opposant à l’austérité sous toutes ses formes et en soutien du droit des migrants et de tous les travailleurs.
Si Corbyn est prêt à mener le combat sur une telle base, ce que nous espérons, la gauche devrait s’unifier derrière lui. (Déclaration publiée le 24 juin, traduction A l’Encontre)