Un militant des Jeunes Anticapitalistes (JAC) voyageait à Istanbul entre les 14 et 21 juin pour voir de visu ce qui se passait place Taksim. Il était accueilli par les camarades de Yeni Yol (section turque de la Quatrième Internationale) et a pu vivre avec des centaines de milliers de jeunes la résistance contre le régime AKP. Il décrit son voyage et la situation politique en Turquie en quatre parties. Dans cette première partie, il explique le caractère du régime et ce qui a mené à la première grande révolte populaire depuis le coup d’État militaire de 1980. — LCR
Les déclencheurs des manifestations
La résistance contre la démolition du parc Gezi et la réponse répressive de l’État fut l’évènement déclencheur de la contestation massive du régime. Au départ, un petit groupe d’écologistes occupait le parc mais quand la police a voulu briser l’action fin mai, des masses de jeunes ont pris la rue avec un pic d’un million de personnes le 31 mai. Les gens pouvaient s’identifier au mouvement du parc Gezi pour plusieurs raisons: le parc est un des derniers espaces verts du centre-ville et la place Taksim revêt une importance symbolique et historique pour le mouvement ouvrier. Il s’agissait de manifester contre la gentrification planifiée des quartiers autour de Taksim, la construction d’un shopping où beaucoup d’achats se font à crédit,… mais surtout contre la manière autoritaire dont le régime veut implanter un tel projet de construction, ce qui est une illustration des politique autoritaires dans beaucoup d’autres domaines.
Le gouvernement a encore accéléré ses politiques conservatrices, autoritaires et néolibérales (voir infra) depuis 2011. Le parti AKP est arrivé au pouvoir en 2002 après la crise économique de 2001 et a réussi à élargir son soutien électoral durant ses deux premiers mandats. Plein de confiance après le score de 50% aux élections de 2011, Erdogan pensait pouvoir aller plus loin dans ses réformes conservatrices et néolibérales: limitations sur la consommation d’alcool, révision de la législation sur l’avortement et la vente de la pilule du lendemain, attaques sur les droits des travailleurs,…
En mai 2013 ces réformes se heurtent à une résistance inattendue et massive. Le premier « déclencheur » eut lieu le 1er mai, qui est chaque année une véritable journée de lutte en Turquie. Le maire d’Istanbul interdit le rassemblement sur la place Taksim, une décision qui était motivée par des travaux d’infrastructure en cours. Cela indigna des syndicalistes et militants de gauche pour qui la place a une valeur symbolique importante. Le 1er mai 1977, des snipers y avaient tiré sur des syndicalistes ce qui causa la mort de 42 personnes. De plus, quelques jours plus tard, les supporters de l’équipe de foot Galatasaray fêtaient leur titre sur Taksim.
A Istanbul, des petites manifestations ont lieu quotidiennement. Beaucoup de ces mobilisations passent par la rue Istiklal (comparable à la rue Neuve à Bruxelles) jusque Taksim. En plus de l’interdiction de manifester sur Taksim, le maire décide que pendant un an il est interdit de manifester dans la rue Istiklal et en face du nouveau palais de justice (le plus grand du continent européen où des milliers de prisonniers politiques sont jugés). Dans la première semaine de mai, la police se positionne à Istiklal avec l’autopompe pour bloquer le passage aux manifestants qui ne sont pas dissuadés par l’interdiction. Le 4 mai, une manifestation du mouvement de jeunesse du PC turc (TKP) a lieu. Les jeunes communistes n’acceptent pas l’interdiction et décident de charger sur la police et marcher sur Taksim. Les images spectaculaires donnent le sentiment aux gens que la résistance contre le régime est possible.
Le régime renforce aussi la législation sur la consommation d’alcool avec une interdiction de la vente après 22h. Ce n’est pas le premier incident à ce sujet. En 2011, les autorités d’Istanbul envoyaient la police sur les terrasses de bars et restaurants après une interdiction.
La répression violente de l’occupation pacifique du parc Gezi peut être vue à cet égard comme le quatrième incident de mai. L’abattage du parc fait partie d’un projet plus conséquent qui est entrepris depuis quelques années: la gentrification de toute cette partie de la ville.
Un régime conservateur, néolibéral et autoritaire
Tous ces évènements exposent le caractère du régime, analysé par les camarades de Yeni Yol comme conservateur, néolibéral et autoritaire. Il n’y a pas de consentement sur ces trois aspects au sein de l’opposition. Les partis kémaliste CHP et stalinien TKP décrivent le régime plutôt comme islamiste et fasciste.
Conservateur ou islamiste? Les mesures conservatrices sont entre autres: le contrôle de l’activité économique des femmes et de leur corps par la propagation d’un idéal patriarcal (en 2008, Erdogan demande aux femmes de produire au moins trois enfants pour le développement économique de la nation) et des attaques sur le droit à l’avortement, la stigmatisation des LGBT (on peut échapper au service militaire en démontrant par des preuves photographiques qu’on est homosexuel), des restrictions sur la consommation d’alcool,…