Compte rendu de lecture du livre d’Eric Toussaint, Bancocratie
Bancocratie est le dernier ouvrage en date d’Éric Toussaint, dont la production intellectuelle a été très importante – seize ouvrages depuis 1998, sans compter les très nombreux chapitres à des livres collectifs et les notes publiées à peu près chaque semaine sur le site du CADTM. Éric m’a demandé personnellement de faire une recension du livre, en ajoutant qu’il m’invitait à être aussi critique que je pensais devoir l’être. Le livre a reçu des recensions très élogieuses, notamment dans L’Humanité et dans Politis. Sa diffusion n’a rien donc à craindre d’une critique un peu plus sévère. Comme pour beaucoup de ses ouvrages précédents, Bancocratie résulte du travail inlassable d’Éric Toussaint, mais aussi, ainsi qu’il le rappelle lui-même dans l’avertissement, à l’abondant matériau venant de l’équipe très active du CADTM. La préface claire de Patrick Saurin donne un éclairage théorique qui comble un peu son insuffisance dans le livre lui-même.
L’entrée au gouvernement Hollande d’Emmanuel Macron, ex-associé-gérant ou fondé de pouvoir de la banque Rothschild, comme ministre de l’économie, venant après tant d’autres nominations très importantes du même type, donne toute son actualité au titre du livre. Celui-ci cependant n’est pas un pamphlet, mais un travail dont l’auteur fixe la barre très haut. Éric Toussaint annonce que son livre « décortique le fonctionnement des banques et met à jour leurs accointances avec les gouvernements et l’ensemble des grandes entreprises privées. Il révèle l’un des visages du capitalisme : la bancocratie. (…) Le livre apporte un nouvel éclairage permettant (aux 99 %) de mieux connaître l’ennemi, de comprendre ses motivations et la logique des politiques qu’il impose. Il permet aussi de réfléchir sur les alternatives nécessaires et possibles pour construire un monde dans le bon sens : celui des peuples et de la nature » (p. 22).
Paradoxalement, le travail aidera avant tout celles et ceux qui sont déjà assez familiers avec la finance. Il se compose de quarante chapitres, dont la longueur très variable va de deux à quarante pages. Il contient un très grand nombre d’informations précieuses et des analyses spécifiques précises. On citera le chapitre 2 sur les bilans bancaires (même s’il aurait bénéficié, comme pour de nombreux développements ultérieurs, d’une explication comme quoi les banques sont à proprement parler, ainsi que la Commission européenne les désigne dans plusieurs textes, des conglomérats financiers), le chapitre 18 sur la spéculation financière (elle ne se limite pas aux banques) sur les matières premières et les aliments, le chapitre 23 sur la banque britannique HSBC, le 24 sur la manipulation du Libor, ou encore le 27 sur la banque suisse UBS. Il y a aussi beaucoup d’éléments très utiles dans les chapitres où il est question de la BCE, d’abord brièvement dans le chapitre 20, puis dans les chapitres 30, 32 et 33, mais le cheminement de l’analyse rend leur lecture difficile. D’autres chapitres contiennent, sur des questions très pointues, des fiches d’analyse très bien faites sous forme d’encarts. Le chapitre 38 sur « le dilemme des banquiers centraux » – l’échec de la politique de création monétaire illimitée dont ils font le constat et l’impossibilité où ils sont d’en sortir – et ses dix points très détaillés en petits caractères en sont un exemple.
Pour qu’il y ait « un nouvel éclairage », et même pour que tous les lectrices et les lecteurs puissent pleinement profiter de la masse d’informations contenue dans ce livre épais, il aurait fallu un cadre théorique solide. L’absence s’en fait sentir dès l’annonce de plan (p. 9). Éric Toussaint se lance dans la présentation des données et des analyses ponctuelles. Ce n’est qu’aux pages 76-77, dans une courte section sur le « mythe de la fécondité du capital » que des questions théoriques sont abordées. Et là, elles le sont seulement sous la forme d’une citation très longue et très dense du dernier livre de Jean-Marie Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable. Celle-ci aurait exigé des explications détaillées pour qu’elle aide à comprendre les mécanismes financiers complexes sur lesquels l’attention est constamment portée. Bien expliquer ce que signifie le « mythe de la fécondité du capital », ou encore le fétichisme de l’argent, c’est-à-dire l’illusion qui nourrit le capital à l’époque de la domination de la finance « d’être capable de s’auto-engendrer, de se valoriser en dehors de toute réalité productive » (p.77), en aurait effectivement beaucoup facilité la compréhension. Il aurait fallu que la citation vienne bien plus tôt et qu’il y ait ensuite un aller-retour fréquent entre les éléments théoriques qu’elle contient et la progression de l’analyse. Le « drame de la finance » – pour ainsi dire – est qu’elle croit pouvoir s’affranchir du travail, plus précisément du travail producteur de plus-value (ou, comme les nouvelles traductions de Marx disent, de survaleur) alors qu’elle en est totalement tributaire. Or, il n’est question de la plus-value que très tard dans le livre (p. 339-342) dans un chapitre inattendu et là encore sous la forme d’une très longue citation de l’édition 2007 de L’introduction au marxisme d’Ernest Mandel. Elle est pourtant indispensable à une compréhension de la finance. Le thème central de la cinquième section du livre III du Capital (le tome 7 aux Éditions sociales) à savoir que l’intérêt et le dividende sont des divisions du profit résultant de l’exploitation du travail, qui sont opérées au bénéfice du capital comme propriété, aurait pu être utilisé par Éric comme l’un de ses fils conducteurs. C’est parce qu’en dépit des efforts de chaque capitaliste pour accroître le taux d’exploitation, le flux de plus-value, pas seulement aux États-Unis mais à l’échelle mondiale, est devenu insuffisant que le capital-argent, pour fructifier, a dû se reporter, à la fin des années 1990, sur l’endettement des ménages. Celui-ci a été autant un mécanisme de ponction directe sur les salaires qu’un instrument de soutien de la demande. Le bond de l’endettement étatique et du service de la dette publique en ont pris le relais après 2008. C’est aussi pour cela que la titrisation et les autres opérations spéculatives ont connu une telle croissance dans les années 2000.
Les références faites à Marx sont extrêmement réductrices. Elles se limitent à une citation relative aux liens entre l’essor des banques et la dette publique tirée du livre premier du Capital et des allusions imprécises aux passages sur leur parasitisme spéculatif. Or, dans les chapitres de la cinquième section du livre III du Capital, on trouve une analyse des activités bancaires, des éléments constitutifs des bilans bancaires et du capital fictif. La puissance des banques n’a pas été fondée seulement sur les prêts aux États et le service de la dette, mais aussi, et pendant une phase décisive (en gros depuis 1850 en Grande-Bretagne et dans sa sphère impériale, qui incluait le canal de Suez, et jusqu’en 1910 en Allemagne et aux États-Unis), sur les prêts aux capitalistes industriels et le financement de l’investissement (on ne trouve pas la moindre référence à Hilferding). Leur croissance a inclus dès le milieu du XIXe siècle déjà la centralisation de la petite épargne (« de petites sommes dont chacune isolément est incapable d’agir comme capital-argent, sont réunies en masses importantes », Marx, Le Capital, p. 67). Avant de chercher à présenter « l’étonnante évolution des banques de Karl Marx à aujourd’hui », il aurait fallu d’abord mieux expliquer le rôle qu’elles sont appelées à remplir dans le mouvement de l’accumulation et qu’elles ne remplissent plus. À partir de la fin des années 1990, l’hypertrophie des marchés financiers et la montée même du fétichisme de l’argent ont été l’expression du fait que la ponction financière avait pris le pas sur le financement de l’investissement, qu’on était passé de « la finance pour l’industrie à l’industrie pour la finance ». Dorénavant, la plupart des opérations, de plus en plus compliquées, allaient porter sur la répartition entre entités financières de fractions d’un montant insuffisant de plus-value, d’où l’importance de deviner où se trouve le mistigri, où la roulette du casino va s’arrêter, mais aussi de savoir passer juste à temps « les patates chaudes », les titres les plus pourris, aux autres traders. Le problème, bien sûr, c’est que menées à une échelle immense, en utilisant l’effet de levier dont le livre parle bien, ces opérations ont conduit en 2008 de grandes entités à la faillite et menacé le système financier international tout entier.
La difficulté de dater le début de situation de porosité complète entre le système bancaire (plus ou moins) régulé et la finance de l’ombre (le shadow banking) tient au passage subreptice du hors bilan et des opérations de gré à gré bilatérales entre banques ou entre banques et fonds de placement à la création d’un réseau dense de transactions non régulées qui interdisent aux autorités d’apprécier le montant des dettes privées (qui incluent les dettes interbancaires). Le shadow banking est le développement ultime du hors bilan, le tout effectivement permis par la libéralisation financière menée par les gouvernements. Mais la « grande récession » comme on la nomme aux États-Unis n’est pas seulement le fait de l’explosion des dettes privées. La crise financière de septembre 2008 n’a pas été caractérisée seulement par sa très grande violence et l’extrême rapidité de sa contagion internationale, mais aussi par sa transformation en l’espace de quelques semaines en crise économique mondiale, avec une forte chute de la production et des échanges commerciaux et une montée rapide du chômage, auxquelles un plancher n’a été mis que grâce à la Chine. La crise financière a révélé l’ampleur de la suraccumulation et de la surproduction pas seulement dans l’immobilier, mais dans les secteurs sur lesquels l’accumulation avait reposé, à commencer par l’automobile. L’augmentation massive des dettes privées a prolongé l’accumulation et la « promesse de la richesse pour tous », et a porté la suraccumulation et la surproduction à leur point de rupture fin 2008-début 2009. Si les banques centrales doivent, comme dit Éric Toussaint, « choisir entre la peste et le choléra », (p. 359), c’est notamment parce que cette suraccumulation et cette surproduction ne sont pas résorbées. Dans son récent rapport, la Banque des règlements internationaux (BRI) parle d’une « impression déconcertante de découplage entre le dynamisme des marchés et l’évolution sous-jacente de l’économie mondiale », pour caractériser la situation économique mondiale et constater l’échec des « politiques monétaires accommodantes ».
Le livre se termine par un long chapitre sur les alternatives qui représente une sorte de synthèse entre les conclusions de l’analyse des dérives de la finance menée par Éric Toussaint (les dix-neuf propositions des pages 385-395), des préconisations-revendications qui lui sont communes avec Attac et les Économistes atterrés, et d’autres enfin qui relèvent de l’anticapitalisme proprement dit. Mais il affaiblit singulièrement son propos en écrivant « ce que les chapitres qui précédent démontrent, c’est qu’on ne peut pas faire confiance aux capitalistes pour posséder et diriger les banques » (p. 394) et encore que « même si la mobilisation sociale arrache certaines mesures de réglementation, (…) les capitalistes chercheront par tous les moyens à récupérer une partie du terrain perdu, ils multiplieront les activités leur permettant de contourner les réglementations, ils utiliseront leurs puissants moyens financiers pour acheter l’appui de législateurs et gouvernants, afin de déréglementer de nouveau et d’augmenter au maximum leurs profits sans prise en compte de l’intérêt de la majorité de la population ». (p.395). Cela, l’ensemble du mouvement altermondialiste le sait, mais ce qui n’enlève rien à l’énorme travail mené par Éric.
François Chesnais
Source : Attac France
Réponse à François Chesnais
Merci beaucoup à François Chesnais pour son intéressante critique deBancocratie. En écrivant ce livre, j’ai évité de donner « un cadre théorique solide », ce que regrette François Chesnais. Il s’agit d’un choix délibéré de ma part. Il y a une raison simple : je voulais que le livre soit, du début à la fin, facilement lisible pour un public large (je sais très bien que le public en question est en réalité plutôt restreint). Je me suis dit que si je consacrais une partie de l’ouvrage au cadre théorique, j’allais perdre très vite une partie des lecteurs et lectrices que je cherche à atteindre, car ils refermeraient ce livre après quelques pages et passeraient à autre chose. J’ai néanmoins consacré une bonne partie du chapitre 3 au processus de financiarisation dans son ensemble. Cela ne remplace pas un cadre théorique cohérent et explicite qui fait effectivement partiellement défaut. J’en conviens volontiers.
François est convaincu que pour « que tous les lectrices et les lecteurs puissent pleinement profiter de la masse d’informations contenue dans ce livre épais, il aurait fallu un cadre théorique solide », je crois que son argument est pertinent mais qu’il est à relativiser. Je suis convaincu que les lecteurs et les lectrices trouveront dans Bancocratie des informations et des arguments solides qui leur permettront de se joindre au mouvement de rejet du capitalisme pour agir en faveur de solutions radicales favorables à l’émancipation. D’autres, qui sont déjà profondément engagés dans le mouvement y recueilleront des informations et des arguments supplémentaires et pourront les partager avec leur entourage. Une troisième catégorie, sans se joindre au mouvement alter, y puisera des antidotes aux fables racontées par ceux qui nous gouvernent.
On peut passer de l’indignation à la compréhension d’une série de mécanismes oppresseurs et passer à l’action sans nécessairement avoir assimilé tout un corpus théorique qui, par ailleurs, est nécessaire. Cette dernière proposition « qui par ailleurs est nécessaire » ne constitue pas la cinquième roue du carrosse ou une décoration. C’est pour cela que des ouvrages comme Le Capital de Karl Marx, Le troisième âge du capitalisme d’Ernest Mandel (réédité en 1997), La mondialisation de capital de François Chesnais (1994) ouLa richesse, la valeur et l’inestimable de Jean-Marie Harribey (2013) constituent des ouvrages de référence qui ont une portée théorique. Bancocratie fait partie d’une autre catégorie, c’est un livre d’investigation et d’intervention écrit à chaud.
En effet, il est important de prendre en compte que le livre porte pour l’essentiel sur un processus qui est en cours. Un grand nombre de chapitres a rapport avec l’actualité : la crise bancaire se poursuit, les démêlés des banques avec la justice ne sont pas terminés, les négociations autour de nouvelles règles bancaires n’en finissent pas, la politique générale de la BCE et celle de la Fed évoluent, les résistances populaires et les débats sur les alternatives à mettre en avant se prolongent… Tout cela rend particulièrement difficile la rédaction d’un livre sur le sujet. Le recul manque. Mais comme il est indispensable d’essayer de contrer entemps réel les mensonges répandus par les grands médias, les banques et les gouvernants, il était important de produire un tel livre.
Certains passages ont d’abord été écrits sous forme d’articles ou de chroniques afin d’être publiés sur internet. Cela a permis de récolter des réactions, de corriger certaines erreurs et d’affiner l’analyse, en bref de faire évoluer le contenu, afin que les articles s’intègrent au livre en cours de rédaction.
Au moment où j’écris ces lignes, je suis en train de préparer l’édition de Bancocratie en anglais et en espagnol [1]. Je suis en contact permanent avec les traducteurs et les éditeurs. Alors que l’édition en français est dans les librairies depuis le 6 septembre 2014, je réalise déjà un important travail d’actualisation.
François considère que j’ai fixé la barre très haut en affirmant dans l’introduction que Bancocratie« décortique le fonctionnement des banques et met à jour leurs accointances avec les gouvernements et l’ensemble des grandes entreprises privées. Il révèle l’un des visages du capitalisme : la bancocratie. (….) Le livre apporte un nouvel éclairage permettant (aux 99 %) de mieux connaître l’ennemi, de comprendre ses motivations et la logique des politiques qu’il impose. Il permet aussi de réfléchir sur les alternatives nécessaires et possibles pour construire un monde dans le bon sens : celui des peuples et de la nature ». Malgré les doutes émis par François, je suis convaincu que le contenu du livre ne passe pas en-dessous de la barre que je m’étais fixée. Il s’agit de donner « un nouvel éclairage », opposé à celui projeté par les médias dominants et par les gouvernants au service du grand capital. Si j’avais prétendu dans l’introduction que le livre allait permettre de faire évoluer ou d’actualiser la théorie sur la phase actuelle du capitalisme financiarisé, bien sûr Bancocratie serait un échec. Je n’ai jamais eu cette prétention.
Ma démarche a consisté à mener une enquête (assez) approfondie concernant : 1. le monde opaque des grandes sociétés financières privées (chapitres 2 à 29 ainsi que la chapitre 39) ; 2. les grands choix des banquiers centraux et des gouvernements au cours de la crise qui a démarré en 2007-2008 (chapitres 30-31-32-33 et 38) ; 3. l’offensive du capital contre le travail (chapitres 35-36 et 37), et à proposer un ensemble cohérent d’alternatives radicales (chap. 40). En effet, le livre vise à convaincre un public large de la nécessité de mettre en œuvre une politique de rupture avec le capitalisme, condition nécessaire à une sortie de la crise en faveur de ceux qui la subissent. Rompre avec le capitalisme signifie prendre clairement une option anticapitaliste.
Comme l’écrit Patrick Saurin dans sa préface : « Rares sont les ouvrages consacrés aux banques, en dehors des quelques manuels à caractère technique destinés aux étudiants en finances. Même chez les économistes critiques du système capitaliste, le monde bancaire est rarement étudié en tant que tel, et quand il est traité, c’est le plus souvent de façon superficielle, au détour d’une critique du “monde de la finance”. » Bancocratiecontribue à combler un vide laissé par la gauche sur le sujet et il y a bien sûr encore beaucoup de travail à faire.
Concernant le chapitre final du livre, François écrit « (Éric Toussaint) affaiblit singulièrement son propos en écrivant “ce que les chapitres qui précédent démontrent, c’est qu’on ne peut pas faire confiance aux capitalistes pour posséder et diriger les banques” » (p. 394) et encore que « même si la mobilisation sociale arrache certaines mesures de réglementation, (…) les capitalistes chercheront par tous les moyens à récupérer une partie du terrain perdu » (p. 395). Là, franchement, je pense qu’il n’y a pas de fondement sérieux à cette dernière critique.
La démarche du dernier chapitre consiste à dégager une liste de mesures concrètes afin de mettre au pas le secteur bancaire et d’éviter de nouvelles crises. En voici un résumé succinct :
- Réduire radicalement la taille des banques.
- Séparer les banques de dépôt et les banques d’affaires.
- Interdire les produits dérivés.
- Obliger les banques d’affaires à demander une autorisation préalable de mise sur le marché de produits financiers.
- Interdire les relations de crédit entre banques de dépôt et banques d’affaires.
- Séparer les activités de conseil et les activités de marché.
- Interdire la spéculation.
- En cas de faillite, le coût de la faillite doit pouvoir être récupéré sur l’ensemble du patrimoine des grands actionnaires (personnes physiques ou entreprises/personnes morales). Il faut restaurer la responsabilité illimitée des grands actionnaires.
- Interdire la socialisation des pertes des banques et des autres institutions financières privées. Il s’agit d’interdire aux pouvoirs publics de mettre des dettes privées à la charge des finances publiques.
- Exiger des banques une augmentation radicale du volume des fonds propres en rapport avec le total du bilan. Alors que les fonds propres sont en général inférieurs à 5 % du bilan de la banque, le minimum légal doit être de 20 %.
- Interdire les marchés financiers de gré à gré.
- Mettre fin au secret bancaire.
- Interdire les transactions avec les paradis fiscaux.
- Interdire le trading à haute fréquence et le shadow banking. Limiter strictement ce qui peut être mis dans le hors bilan. Interdire les ventes à découvert et les ventes à nu.
- Poursuivre systématiquement les dirigeants responsables de délits et de crimes financiers. Retrait de la licence bancaire aux institutions qui ne respectent pas les interdictions et se rendent coupables de malversations.
- Taxer plus fortement les banques.
- Garantir le volume de l’emploi et les conditions de travail dans le secteur bancaire. Instaurer l’égalité complète de salaire entre les hommes et les femmes. Instaurer un plafond maximum de rémunération.
- Renforcer les banques publiques existantes et en recréer dans les pays où elles ont été privatisées (bien sûr en les soumettant comme toutes les autres banques aux mesures concrètes mentionnées plus haut).
Il est possible de dégager un accord dans le mouvement social sur ces propositions, encore faut-il en discuter sérieusement. Ensuite, j’explique qu’on doit aller plus loin et je plaide pour la socialisation du secteur bancaire, ce qui signifie : l’expropriation sans indemnité (ou avec comme seule indemnité l’euro symbolique) des grands actionnaires (les petits actionnaires seront indemnisés) ; l’octroi au secteur public du monopole de l’activité bancaire tout en autorisant l’existence d’un secteur bancaire coopératif de petite taille (soumis aux mêmes règles fondamentales que le secteur public). J’y ajoute d’autres considérations importantes que je ne peux, faute d’espace, résumer ici. Ensuite, j’argumente en faveur d’une série de mesures : la socialisation du secteur des assurances, l’annulation de la dette illégitime, la réforme fiscale radicale, la réalisation d’emprunts publics légitimes, l’extension des services publics (qui doivent inclure l’ensemble du secteur de l’énergie), le renforcement du système de retraite par répartition, la réduction radicale du temps de travail, l’abrogation des traités de l’Union européenne et une refondation démocratique de l’Europe à partir d’en bas.
Toutes ces propositions à affiner pourraient faire l’objet d’un accord entre les forces de gauche qui veulent une rupture avec le système capitaliste afin de trouver une sortie à la crise favorables aux peuples. Les mesures concrètes concernant le secteur financier qui sont proposées au début du chapitre sont très importantes. En effet, imaginons qu’une alliance de forces de gauche avec Syriza accède au gouvernement en Grèce, il faudra à la fois socialiser –exproprier – le secteur bancaire (or il n’est pas garanti que Syriza le voudra) et appliquer la panoplie de mesures concrètes proposées. Sinon, la banque publique mènera des activités contraires aux intérêts populaires et, qui plus est, dangereuses. On se trompe si on imagine que l’expropriation du secteur bancaire, qui est tout à fait indispensable à mes yeux, résoudra tous les problèmes du secteur financier. De la même manière, on se trompe si on considère qu’avec l’application de mesures concrètes pour discipliner les banques capitalistes, on trouvera une solution durable. Il faut à la fois appliquer les mesures concrètes énumérées et exproprier le secteur financier pour le socialiser. Je suis convaincu que la démarche que je viens de résumer, loin d’affaiblir le propos, le renforce considérablement. Merci à François Chesnais de m’avoir stimulé pour écrire cette réponse.
Eric Toussaint
Source : Attac France