J’ai fait un sale cauchemar. Il faisait très chaud dans la chambre. Anormal pour la mi-novembre. D’autant que le chauffage central n’avait plus tourné depuis des années. Malgré les COP22, 23, 24, 25 et 26, les températures ne cessaient de grimper. Hier soir à la télé, on avait annoncé une nouvelle surprenante : pour fêter le nouvel-an, cette année, on pourrait acheter du muguet cultivé à Wépion. Depuis que le climat s’était tellement modifié, les producteurs locaux avaient dû trouver des alternatives…
Et puis il y avait cette lumière bleue avec des reflets violets… « Un peu comme la flamme du Butagaz », je me suis dit. Depuis de longues minutes j’essayais de me redresser sur les coudes pour regarder d’où provenait ce halo bleuâtre. Mais ma sueur me collait littéralement aux draps. Je n’avais pas bu une goutte d’alcool depuis des lustres et je n’avais jamais touché à d’autres substances illicites. Je devais me taper une fameuse fièvre.
J’entendais un murmure, en stéréo et en anglais. Je ne comprenais pas tout mais il était question de rouvrir les mines de charbon et les cokeries. Mais nom de Dieu, ils étaient complètement fous… Et peut-être moi aussi. Je voulais sortir de cette chambre d’hôpital (psychiatrique ?) qui ressemblait pourtant à ma chambre à moi. Plutôt que d’essayer de me relever, j’ai opté pour une autre technique, je me suis fait rouler sur le côté gauche vers la voix de l’homme qui proférait des insultes à chaque phrase. Mais je n’ai pas pu l’identifier car il portait une cagoule blanche. Sa voix me disait quelque chose. Je fis le chemin inverse en roulant vers la droite. La voix féminine était tout aussi encagoulée… Elle m’avait vu sursauter quand elle avait envisagé de rouvrir les mines. C’est vrai quoi, après plus de soixante ans, les galeries étaient inondées, voire écroulées et, en surface, il ne restait rien, à part le PASS et Marcinelle transformés en musées.
Elle essaya de me convaincre en me disant que, justement, tout reconstruire ça ferait redémarrer les affaires. Et l’emploi suivrait. Les jeunes retrouveraient l’honneur de travailler comme leurs ancêtres. Il fut un temps où dès leur plus jeune âge, les garçons avaient déjà le métier dans le sang ! Et puis notre région était la seule à encore posséder des réserves dans le sol. Partout ailleurs on avait tout pompé, tout extrait, tout valorisé. Les actionnaires sauraient nous remercier de leur tirer cette épine du pied en leur offrant notre sous-sol et notre force de travail. La prospérité allait à nouveau ruisseler sur notre belle région. Elle s’était engagée personnellement en 2016, lors de son retour aux affaires au département de l’Energie, « car l’Energie est mon bébé, pétrole, gaz et minerais, toutes ces choses que Dieu a déversé dans cette partie du monde pour les humains, au lieu de dépendre de pays étrangers hostiles et d’importer leurs ressources [1]». Et, abritant la base américaine qui avait remplacé l’ex-OTAN à Maisières, nous n’étions pas un pays hostile… N’est-ce pas nous qui déjà avions fourni l’Uranium aux américains pour fabriquer leurs premières bombes nucléaires ?
Le vieux à gauche la rappela à l’ordre : « il faut qu’on finisse le scénario ». Il demanda à un troisième présent de s’approcher. Celui-ci tenait une longue matraque dans la main droite avec laquelle il tapotait la paume de sa main gauche. « Sarah a raison, me lança-t-il, il faut que nous finissions de remettre de l’ordre dans cette planète. J’ai toujours eu un faible pour l’ordre… ». Sa matraque me faisait peur. J’avais déjà vu sa tête quelque part, en plus jeune. Il ne portait pas de cagoule mais un chapeau Borsalino… J’avais son nom sur le bout de la langue…
Je me réveille enfin
Je n’ai pas dû chercher plus longtemps. Mon cauchemar s’est enfin terminé. Enfin pas tout-à-fait. J’étais assis dans mon lit, j’avais trouvé l’interrupteur et le bleuté de l’écran TV avait fait place à une lumière plus vive. Mais ils étaient là. Tous.
A la télé, le vieux Trump, entouré de Rudy Giuliani, monsieur « Tolérance Zéro » quand il était maire de New-York ; Sarah Palin qui est favorable à la libéralisation totale du secteur pétrolier, du gaz de schiste, du charbon et en faveur de l’élimination de toutes les lois environnementales qui protègent les citoyens contre la pollution ; Mike Pence, son colistier, créationniste et homophobe… et toute une petite bande que le speaker présente tour à tour. « Dans la future administration Trump, un ancien de Goldman Sachs au Trésor, un pétrolier à l’Énergie et un lobbyiste climato-sceptique à l’Environnement »[2].
Finalement j’aurais préféré ne pas ma réveiller.
fRED – 10-11-2016
–
[1] Sarah Palin à CNN en 2015.
[2] http://multinationales.org/Dans-la-future-administration-Trump-un-ancien-de-Goldman-Sachs-au-Tresor-un