C’est lundi dernier, 9 décembre, après 15 jours de grève sur les sites du froid dans le bassin sidérurgique liégeois, que les directions syndicales des Métallos faisaient avaliser par les travailleurs le (pré)accord conclu avec la direction d’ArcelorMittal, sous les auspices de la Région wallonne.
Cet accord prévoit le maintien de 945 emplois, sur les 6 lignes du « froid » maintenues actuellement (après la fermeture de 7 lignes sur les 13 qui occupaient au total quelque 2000 sidérurgistes). ET pour les quelque 1000 qui doivent dégager ?
Trois structures hybrides de formation et reclassement
Maintien de 945 emplois (au lieu des 845 fixés initialement).
Création d’une filiale de ArcelorMittal, conjointement avec la Région wallonne, occupant 137 ouvriers pour des fonctions d’emballage, de manutention, de réparation et du parachèvement. Durée : un an renouvelable en fonction de la rentabilité, des besoins du marché !
Création, par la Région wallonne, d’une société, « pool de compétence », qui devrait occuper 200 travailleurs, en formation pour relancer les outils mis sous cocon, si cette éventualité se présentait ! Ces métallos devront d’abord être licenciés par ArcelorMittal. Ils toucheront leurs indemnités, puis signeront un contrat CDD de 3 mois minimum et de 2 ans maximum.
Création par la Région wallonne d’une société de démantèlement, avec 75 travailleurs (au lieu des 16 initialement prévus) pour démonter les outils.
Ces structures hybrides pourraient ne pas durer. Il est d’ailleurs prévu un « parachute » en cas d’échec permettant au personnel concerné d’avoir les mêmes indemnités de sorties que les travailleurs qui seront licenciés.
Car il est déjà prévu 77 licenciements « secs ». Peut-être plus si le gouvernement fédéral n’accorde pas une dérogation pour quelque 362 sidérurgistes pré-pensionnables à 52,5 ans et si la société américaine, Oxbow Mining , ne rachète pas la Cokerie et la Centrale Energie, Ce qui sauverait 225 emplois. Sur ce dernier point, la décision est attendue pour le…31 mars 2014 !
Les travailleurs licenciés toucheront, en fonction de leur ancienneté, une indemnité de 23 250 euros à 124 250 euros. Les syndicats ont obtenu que Mittal paie au Forem 2000 euros par travailleur licencié qui intégrera, comme le prévoit la législation, la cellule pour l’emploi.
« Le coup gagnant d’ArcelorMittal »
C’est le titre du commentaire écrit par le journaliste du quotidien financier, « L’Echo » du 10 décembre.
Très pertinent de rappeler d’abord le prêt, sans garantie de remboursement de 138 millions d’euros, de la Région wallonne à Mr Mittal, pour financier le plan industriel dans les lignes du froid restantes.
La Région wallonne va également intervenir financièrement (avec l’argent du contribuable) dans les trois sociétés créées. Ainsi, la somme de 50 millions d’euros, prévue pour la société de démantèlement, sera versée à parts égales par la Région wallonne et Mittal. La Région wallonne va également intervenir pour le payement d’une partie des garanties de salaires dans les 3 sociétés.
Le gouvernement fédéral n’est pas en reste dans sa générosité envers Mr Mittal. C’est d’autant plus scandaleux et révoltant que ArcelorMittal a réalisé de plantureux bénéfices sur le dos des sidérurgistes, pressés comme des citrons et largués aujourd’hui comme des moins que rien. En 2011, ArcelorMittal engrangeait 1, 6 milliard de bénéfice et payait zéro euro d’impôts…grâce aux fameux intérêts notionnels. C’est l’année où cette même société annonçait la fermeture de la phase à chaud de la sidérurgie liégeoise.
Mittal peut dire merci à la Région Wallonne et, demain, il n’aura aucun scrupule à décréter la fermeture de ce qui reste dans la phase à froid.
« Il y avait une alternative, mais tout le monde nous a laissés tomber »
Dans une interview donnée au quotidien Le Soir (30 novembre 2013), deux délégués syndicaux SETCa de ArcelorMittal, Fauste Casagrande et Gino Russo ont exprimé leur rage, leur colère mais aussi leur farouche volonté de se battre encore.
Fausté Casagrande déclarait que « tout ce qui nous arrive est tout sauf le fruit du hasard ». Et de rappeler qu’en 1998, la Région wallonne, qui possédait 99,77% des parts de Cockerill-Sambre, revendait l’entreprise à Usinor pour la somme de 670 millions d’euros. Un beau cadeau au privé !
Dans un tract distribué à une assemblée des sidérurgistes, la LCR rappelait, qu’avant la vente à Usinor, la Région wallonne avait pris la peine d’embellir la mariée : elle avait investi dans l’entreprise (avec l’argent de la collectivité) quelque 3 milliards d’euros et supprimé des milliers d’emplois.
La Région wallonne a tué une première fois la sidérurgie en la privatisant en 1999. Elle a participé à la programmation de sa mort, une deuxième fois en 2013, en évitant de passer à l’acte sur les promesses d’expropriation, de portage, de nationalisation ou encore de mise sous statut public, revendications portées par les sidérurgistes liégeois.
L’alternative régionale ? Nos syndicalistes interviewés répondent « Trois études ont démontré qu’il était possible de vivre seul, à Liège avec le chaud, le froid et la recherche et développement ». Mais avec quel argent, demande la journaliste ?
La réponse est pleine de « bon sens » : « la première étude disait qu’on avait besoin de 700 millions d’euros sur cinq ans. Calculez : on perd 2 500 emplois en direct, et 3 à 4 fois plus en indirect. Cela fait 10 000 personnes au chômage. Ca coûtera plus cher que les 750 millions ! On a fait ce calcul pour la Région. On va déguster et ils ont tous une responsabilité ».
Les 15 jours de grève dans le bassin sidérurgique liégeois ont montré qu’au-delà de la rage, de la colère et même du désespoir, les travailleurs ont eu encore l’énergie de se battre.
Jean-Luc Rader, secrétaire régional de la FGTB-Métal Liège a déclaré : « Nous avons réussi à limiter la casse, mais le texte laisse un goût amer. Il entérine la fermeture d’une partie significative des outils du bassin ». Et Jordan Atanasov, de la CSC-Metea renchérit : « Ce volet social vient juste adoucir un peu la pilule ».
Le ministre wallon de l’Economie, Jean-Claude Marcourt a déclaré : « On a été aussi loin que possible et on a fait le mieux qu’on pouvait ».
Voilà une réflexion qui mérite bien un vrai débat, au sein du mouvement syndical, et en particulier chez les Métallos de ArcelorMittal. D’autant que rien n’est définitivement réglé, ni acquis et que le combat doit continuer.
Nous y reviendrons.